Marillion est l'un de ces fleurons du rock progressif qui possède un univers réaliste teinté d'une étrange aura de mysticisme théâtral. Fondé en 1978 dans une Angleterre en pleine mutation, influencé par les oeuvres de Tolkien et la musique celtique, la formation est composée de
Fish aka William Derek Dick, chanteur au charisme et à la voix aussi puissants que son amour pour sa terre écossaise, Steve Rothery, guitariste plus mélodique que technique inspiré par Gilmour ou
Beck, Pete Trewavas, bassiste talentueux aux lignes élaborées, Mark Kelly, clavériste irlandais au jeu incisif et Michael Pointer, batteur intuitif derrière ses fûts (évincé en 1983 pour la précision et la polyvalence de Ian Mosley).
Ce premier album "
Script for a Jester's Tear" est devenu un classique tout comme la première pierre d'un travail collectif qui durera 5 années riches en hits.
Marillion se démarque néanmoins par un son onirique, résultat d'une structure béton entre une guitare et une basse complémentaires jusque dans les soli, portées par une rythmique originale et prononcées des claviers et une batterie technique mais discrète. Le chant rageur puis posé de
Fish, avec des accélérations et des changements d'intonations, constitue l'essence des morceaux : elle s'adapte tel un narrateur racontant une histoire (
Peter Gabriel a beaucoup influencé
Fish).
Marillion est un groupe à thème; la jaquette de ses premiers albums en témoigne. Elle représente pour celui-ci un "jester" (bouffon du roi), personnage fétiche et symbolique de
Fish, l'air morose avec violon et plume en main, composant dans une chambre spartiate. L'image y tient une place importante, elle distille le vrai sens des paroles, place un repère dans la structure parfois confuse et déroutante du rock progressif. Le thème de cet album porte notamment sur l'individu et ses démons intérieurs... sujet personnel ? Oui et non. Les 4 albums du premier line-up évoquent un parallèle avec des périodes qui ont marqué les musiciens et chacun y va de sa plume,
Fish en tête.
Dans l'analyse de l'oeuvre, nous commençons donc par la chanson éponyme de l'album, ô combien poignante et musicalement aboutie : traitant des conséquences d'une peine de coeur, elle comporte des couplets saccadés aux accents plaintifs, suivis par des envolées lyriques déchirantes. Le clavier et la guitare sont les chefs d'orchestres de cet ensemble "musique de troubadour", sonnant comme clavecins et mandolines auxquels la voix de
Fish apporte une émotion sincère; un titre magique !
On attaque un autre registre avec "
He Knows You Know", premier single du groupe. En effet, il est plus question de la souffrance causée par l'abus de drogue (
Fish en ayant consommé). Ce morceau magistral reste envoûtant, psychédélique et fiévreux, démonstration sonore brillante de la déchéance vers la toxicomanie. La basse apporte de la gravité au son clair et cristallin des claviers, Rothery use de sa guitare avec légèreté et souplesse, jouant un solo souple et maitrisé qui rend encore plus cruel et persistant le thème de la chanson.
Les titres "The Web" et "
Garden Party" sont à côté plus emportés, plus gais bien que conservant un côté doux/amer, critique acerbe de la société anglaise de ce début des 80's. "The Web" possédant une progression chromatique puisée dans la musique baroque, elle contraste par sa 'fausse joie' avec la thématique de la réclusion; l'artiste s'isole, prend de la distance et observe la décadence qui règne sous des dehors festifs, là est 'la toile' !
La dérision et la satire pavent chaque parole de "
Garden Party", la formation vise notamment l'aristocratie anglaise avec ironie et fait mouche. La prédominance des syncopes synthé/basse slapée/batterie apporte une sonorité parfois voisine du "Selling England by the Pound" de
Genesis. On retrouve aussi une caractéristique propre au rock progressif, l'ajout de bruitages amenant une dimension plus expérimentale des morceaux jusque-là très mélodiques.
L'intro d'orgue électronique/basse pose le ton de "
Chelsea Monday", fresque d'une fille paumée résignée à vivre au travers de ses rêves. On aborde un tournant mélodramatique sublimement porté par la voix mi- douce, mi- désespérée de
Fish. Les progressions de claviers de Kelly, les slides aériens de Rothery, la rythmique plombée de Trewavas et les combos tom/charleston de Pointer délivrent une alchimie surréaliste suintant l'atmosphère dépressive de l'Angleterre de 1980.
Pour l'histoire, et l'achèvement de cet album,
Marillion réitère ce qui avait été fait pour "
Garden Party": critiquer, cependant avec plus de sérieux et de désabusement les exactions de l'
IRA dans l'Irlande de 1970-1980, chose faite avec l'épique-celtique "Forgotten Sons" à la rythmique hachée menue, avec des passages fleurant brièvement le titre "Emerald" de
Thin Lizzy.
Fish modifie en fonction des strophes sa voix pour la faire paraître tour à tour implorante et désespérée, puis terne et cynique.
"
Script for a Jester's Tear" est à mon avis l'album le plus éloquent quant aux facultés de composition et de jeu instrumental des membres de
Marillion. On passe par plusieurs états: tristesse, légèreté et gravité, un art dans lequel
Fish, Rothery, Trewavas et Kelly et plus tard Mosley excelleront. Pointer fait son travail mais sonne un peu limité, trop effacé pour soutenir la rythmique et la variété de percussions que l'on peut retrouver dans de futurs albums. Quoiqu'il en soit, "Script..." se veut ambitieux, touche-à-tout, et plutôt axé vers les affres et les doutes de l'ascension vers la gloire. Deux titres plus engagés témoignent d'une époque de troubles et de contestations politico-sociales avec virtuosité. Cet album se veut pleinement maîtrisé et redonne un souffle plus contemporain, moins redondant et expérimental que le rock progressif des origines. A écouter jusqu'à n'en plus pouvoir !
Oui je l'ai lu quelques semaines avant la sortie du film et je dois dire que le livre me plaît bien plus que son adaptation cinématographique ^^. Je pense comme toi que Fish a vraiment tenu à laisser transparaître le mot "Liberté" sous toutes ses coutures. Dans le même temps je crois qu'il a voulu insister sur la notion de "trouver sa voie et se retrouver": il y aura toujours une opportunité pour choisir qui l'on souhaite être et ce que l'on souhaite faire. C'est du moins comme cela que j'ai saisi le message de Clutching At Straw, notamment au travers de The Last Straw où Fish y exprime l'usure des tournées et les pressions de leur manager de l'époque, des maisons de disques qui ont trop tiré sur la corde. Résultat, Fish avait besoin de s'envoler ailleurs et il a fait un choix, difficile du fait de ses très bonnes relations avec les autres membres, mais dans le fond salvateur pour lui comme pour eux.
Au fait je compte tenter la chronique de Brave, un des seuls albums où selon moi Hogarth côtoie de près une intensité dramatique que jusqu'ici seul Fish savait cultiver... A voir ;)
Quant à l'adaptation ciné du Kerouac, je ne l'ai pas encore vu.
Le charme opère très rapidement et après plusieurs écoutes, c'est vraiment un des albums de l'ère Fish que j'aime le plus avec le Misplaced Childhood. Le live Real To reprenant l'album Fugazi est aussi un must-have qui à mon sens surpasse d'ailleurs la version studio.
La période Fish impose vraiment une ambiance magique et atypique qui prend tout de suite aux trippes jusqu'au bout sans oublier une rythmique au top niveau.
Mention spéciale concernant la chronique évoquant la relation musicale avec le magnifique morceau "Emerald"...une histoire d'amour irlandaise for a fucking great band dont je suis un inconditionnel malade.
Because Phil was a Genius.
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