Le centralisme administratif, celui qui impose ses vues monopolistiques, sa langue et sa culture parisiennes afin d'asseoir son hégémonie a toujours subi des contestations perceptibles dans ce Far West qu'est la Bretagne. Aujourd'hui encore les braises sont chaudes des Bonnets rouges, de Notre-Dame-des-Landes ou encore des écolos du Peuple des dunes. Reconnus parmi leurs pairs comme des vecteurs de l'identité armoricaine, Les Ramoneurs de Menhirs ont choisi de "dépoussiérer" une partie du répertoire traditionnel, de créer de nouveaux hymnes et des morceaux variés souvent hargneux.
Pourquoi ce choix de s'inscrire dans une continuité farouche et celtique? A l'heure des replis et des réflexes identitaires, comment justifier le poids de cet héritage dans une mise en perspective Punk, autrement dit libertaire. Sans rentrer dans les détails, le Grand Ouest s'est bien souvent élevé contre les injonctions du pouvoir central avec en point d'orgue la catastrophique guerre civile de 1793 et la chouannerie anéantie par la Terreur. La Bretagne, depuis les années 50, a cultivé nombres de voix bardiques et anarchisantes façon Glenmor ou E.V, de plumitifs corrosifs et incorruptibles tels Xavier Grall et Armand Robin.
Le recoupement des sensibilités se fait à l'occasion d'une rencontre entre les sonneurs* Richard Revillon et Eric Gorce et les Bérurier Noir auteurs de leur ultime méfait, l'album Invisible. Voici donc ce qui amène Laurent "Loran" Katracazos, mythique guitariste des Bérus, et ses nouveaux comparses, à projeter la création des Ramoneurs de Menhirs auquel se joint Momo "La Voix sans Maître" Maurice Jouanno, pur chanteur de Fest Noz! Côté label, le Folklore de la Zone Mondiale intègre le réseau de distribution Coop Breizh, lequel se tamponne des modes et se trouve le plus à même de se tourner vers le public régional.
En 2007, peu après la séparation définitive (?) des Bérurier,
Dans an Diaoul, le premier LP du nouveau groupe est dans les bacs et trouve un accueil favorable. Il s'agit d'un alliage solide fort des enseignements du Street Punk celtique, allant des Pogues primitifs aux derniers
Dropkick Murphys. Le tout est charpenté autour du caractéristique riffing de la guitare/tronçonneuse de Loran. Le travail des Ramoneurs est un pur produit du cru bien au-delà du simple aspect linguistique. Il est impossible pour votre serviteur d'aborder plus avant cette chronique sans dire un mot de la chanson bretonne. Par exemple, le livret de cet Amzer an Dispac'h (Le Temps de la Révolte) présente le refrain de Unnek Gwezh comme un diskan. Le kan a diskan, c'est le chant et déchant, à savoir un écho fait à chaque phrase prononcée. Cette forme d'insistance sur les mots met à l'honneur les danseurs sur le mode l' An Dro** et la Gavotte, ou les paroles sur la Gwerz ou complainte. Menez Daou est l'archétype de ces titres drôlement pointus, télescopage des intonations de la session member, Louise Ebrel, une institution du genre née en 1932, avec le Rock le plus direct et basique. Est-ce que ça fonctionne? A l'aise Breizh! Un point faible? Evidemment, l'utilisation d'une boîte à rythme. Rien à faire, le bruit organique des peaux et le tintement des cymbales manquent cruellement!
La nouvelle version d' If the Kids Are United n'apporte rien de bien neuf mais il est agréable de posséder ce titre avec un son plus actuel. Les participations amicales sont ici nombreuses. Ainsi Niko des Tagada Jones donne tout sur Auschwitz Planète, cover de Tromatism, groupe de Loran ayant pour scène les squats dans les années 90. Avec Ya'at'eeh les Navajos punks de Blackfire se mêlent à la fête afin de rendre un hommage aux cultures méprisées et Les Ramoneurs nous pondent un pamphlet anti Yankee en soutien à l'icone indienne Leonard Peltier, improbable métissage de styles qui, au final, s'avère très abouti. La Blanche Hermine, antédiluvien classique de Gilles Servat est repris en sa compagnie; ce chant de chouannerie est un grand moment de bonheur et l'esprit Béru pose vraiment sa patte sur ce titre. Louise Ebrel intervient encore sur Tamm Kreiz et Menez Unan avec pas moins de réussite que sur Menez Daou. Sans invité, ce n'est pas mal non plus même si parfois, on n'est pas loin du prêchi-prêcha comme sur Breizhistans. L'écueil du style remonte à BxN dont la formulation semblait souvent bien naïve, n'empêche, c'est direct et ça défoule. Ainsi Oy! Oy! Oy s'ouvre sur ces bonnes paroles:
Ar muzik' zo bet starakizet, La musique a été staraquisée
Ha get tud re fin marketet Et markétée par des gens "trop intelligents"
Divlas-kaer eo tout an tonioù Les airs sont sans odeurs
Sot ha goulle ar sonennoù Les chansons sont idiotes et vides de sens
Ag ar sirk-se ne vennomp ket De ce cirque-là nous ne voulons pas
Marijanig est une excellente compo bien pêchue et ... totalement apologétique de la fumette. No comment, chacun pense ce qu'il veut et personnellement, je passe mon tour et ne fais pas tourner. L'atout maître de ce morceau est invariablement l'accompagnement de Loran par les sonneurs Eric et Richard ainsi que les refrains repris comme un seul homme par tout le studio!
Amzer an Dispac'h nous offre un curieux voyage replantant une musique de déracinés, le Punk, dans les vieux pots de la cambrousse bretonne. Pari difficile et pari gagné, ils ont des chapeaux ronds, vive les Keupons! Cette réappropriation des répertoires fait des merveilles et on se sent joyeux à l'écoute de ce bain d'énergie bouillonnant. Comme le disait Gilles Servat:
Prenez la tradition et marchez sur ses traces
C'est le peuple qui parle et c'est votre voix
En mémoire de Per Jakez Helias.
Trugares vras, grand merci à mon ami Erwan Lelièvre.
* Bombardes et binious
** Ronde
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