Qui se souvient encore des programmes de Skyrock avant que l’ex-Radio Libre se lance aux alentours de
1997, avec le succès qu’on connaît, dans la diffusion continue de titres pseudo-Rap destinée à faire rentrer au bercail les brebis décervelées égarées sur Fun Radio ? Au début des 90’s, je vous le promets, Skyrock ne s’était pas encore donnée pour mission l’extermination totale des boutons d’acné de ses auditeurs à coups fatals de bass-boosters ou l’éradication de toute forme d’intelligence humaine sur ses ondes. Pour la faire courte et facile, il y avait en 1994 encore Rock dans Skyrock.
C’est à cette époque que j’ai rencontré
Daran. En comatant dans mon lit pour être plus précis, ensorcelé par le timbre grave, les propos racoleurs, démagogiques, scandaleux et ultra-pertinents de l’animateur Maurice, qui prenait la France à la gorge et nos nuits en otage. Désormais diffusé sur une radio nationale, le transfuge de Ouï FM ne se compromettait pourtant pas dans le politiquement correct, et c’était évidemment ce que la direction attendait de son recrutement : qu’il prenne pied au plancher les sens interdits, en grillant si possible quelques feux rouges au passage. En d’autres termes plus modernes, le job de Maurice consistait à faire le buzz; rien de nouveau sous le soleil dans le microcosme radiophonique, mis à part qu’aux antipodes de nombre de ses confrères de sinistre mémoire, Maurice faisait ça avec une classe et un charisme impressionnants… La liberté totale qui lui était accordée, ou plutôt qu’il s’octroyait, incluait notamment la programmation musicale de ses disques persos en lieu et place des bouses formatées ado sous contrat avec Skyrock.
Paul Personne faisait partie de ses kiffs du moment.
Daran aussi…
Et c’est ainsi que «Le
Train Bleu» a déraillé pour venir s’écraser aux portes de mon insomnie, déclenchant immédiatement le réflexe nocturne propre aux jeunes de ma génération dès lors qu’ils entendaient à la radio quelques notes d’un titre susceptible de les faire vibrer : dégagement de la couette d’un grand coup de latte, double-salto, triple-axel, glissade et contrôle pour atterrir devant la chaîne, et, enfin, lancement de la sacro-sainte TDK D-90 toujours prête à démarrer, bloquée en Rec/Pause dans la platine B. L’étape de rigueur avant le passage chez le disquaire.
La guitare à fleur de peau, le refus des conventions, le fatalisme exacerbé, la nostalgie à cœur ouvert, le désespoir contagieux… Il arrive parfois qu’on ait l’impression de connaître intimement quelqu’un sans pourtant lui avoir jamais adressé la parole… Les mots justes ne trompent jamais. Ce mec-là me ressemblait énormément, j’en étais certain. A un moment où je traversais pourtant une phase hyper-sectaire, n’ouvrant rarement mes chakras à autre chose qu’au Heavy Metal britannique et au Thrash californien, «J’Évite Le Soleil» a été un gros coup de cœur. C’était il y a vingt ans, je l’aime toujours autant.
L’album n’est pourtant pas particulièrement ambitieux. Pochette pourrie, enregistrement bricolé sur un huit-pistes à la maison avec les copains puis mixé dans le fin fond du Val de Marne sous la direction d’Antoine Essertier, guitariste de
Renaud Hantson… Tout ça sent les petits moyens, le début de l’aventure… Pourtant
Daran du haut de ses 33 ans était loin d’être un perdreau de l’année (sortie de quelques 45 T dès 1985, écriture de morceaux pour Julie Pietri [sic] en 1989), et c’est justement ce contraste, quelque part entre jeunesse et maturité, qui donne à ce disque d’ado naïf mais déjà désabusé une fraîcheur éternelle.
Il vous suffira, si vous avez la chance de trouver à un prix décent ce petit bijou désormais épuisé et non réédité, d’appuyer sur Play pour être envouté en quelques mesures dès le riff entêtant de l’opener se voulant un hommage à l’ex-pompiste australien Johnny Diesel mais plus largement un hymne à la vraie Liberté, celle qui se rie des protocoles, de la pensée unique, de la stabilité et de toutes ces saloperies de règles qui empoisonnent en permanence nos existences de rocknroll motherfuckers. Ce thème revient d’ailleurs comme un leitmotiv tout au long de l’opus, notamment sur le jouissif down-tempo acoustique «Y’a Des Chaises Pour S’asseoir» ou le terrible Classic Rock «Strict Nécessaire».
«Ne me demande pas toujours où je vais, je ne sais pas moi-même où la route m’emmène»; «Moi je voyage avec mon cuir et mon vieux Jean’s, ça devrait bien suffire pour séduire la voisine», le genre de lyrics qui me cause encore malgré mon âge avancé mais dont on peut, j’imagine, également se lasser. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles, malgré un succès allant grandissant,
Daran est subitement, après un excellent second album avec les Chaises, passé à autre chose, abandonnant le Rock Bluesy pour retourner vers la Variété et d’autres thèmes plus graves… Le mec a dû devenir adulte, dommage. Parions que les nostalgiques des Chaises soient quant à eux encore bloqués dans les 90s, pour toujours ados attardés dans l’âme, ayant soif de rêves et de rébellion, si utopique et cliché soit-elle… Pas étonnant donc que ces Peter Pan apprécient comme il se doit le «
Train Bleu», titre magique de nostalgie qui nous renvoie forcément à nos propres souvenirs d’enfance et notre éducation; ou qu’ils frissonnent à chaque écoute du minimaliste «Tous Ces Gens Qui S’Aiment», véritable tour de force qui parvient à nous emmener très loin avec une voix, putain quelle voix, quelques malheureuses notes et un texte désespéré et transperçant. Combien de temps dure véritablement une histoire d’amour ?
Même si
Daran signe lui-même les dix perles de ce premier opus des Chaises, on n’oubliera pas de saluer pour autant le boulot admirable abattu par sa parolière et compagne Alana Filippi, ainsi que le talent de ses zicos, des pointures de la scène Rock/Variété parisienne : Éric Sauviat (ex-Niagara période «Religion») aux guitares, Roberto Briot (Johnny Halliday, Bernard Lavilliers,
Alain Bashung, Axel Bauer) à la 4-cordes, et Jean-Michel Groix à la batterie (ex-Michel Sardou !! - je vous ai entendu ricaner…)
Naviguant entre Rock, Blues et Variété, témoignage touchant d’une période sur laquelle son créateur a désormais fait un trait, glorieusement associé aux fantastiques 90s et dans mon cœur au controversé agitateur des ondes Maurice chez qui
Daran était d’ailleurs venu jouer un soir, «J’Évite Le Soleil» est un opus éclectique encore frais et presque innocent qu’il fait bon écouter la nuit en pensant à la vie et au temps qui passe en nous éteignant chaque jour un peu plus.
Salut les parigots, salut les campagnards !
-- Au cousin Mike, "cuisine équipée", mec ! --
Parmi les chouchous du père Maurice, y'avait aussi No Man's Land, qui étaient aussi venus jouer en live à la radio (le sympathique "Conteste"). Pour les curieux le clip est sur SoR.
Ni révolutionnaire, ni ridicule, mais sincère jusqu'aux bouts des ondes, un album qui ressemble à un compagnon de route qu'on a plaisir à retrouver souvent de manière inattendue, qui invite à se confier, et surtout à se poser pour mieux regarder au-dessus de son épaule.
Parmi les influences, difficile de ne pas déceler dans le phrasé d'Aquarium un quelque chose de J.-P. Capdevielle qui me rappelle de très bons souvenirs. Mais coup de Coeur pour le titre "Y'a des chaises pour s'asseoir" : moi aussi je veux SORTIR...
Thanks Dude
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