Qui aime bien, châtie bien. Ce proverbe aurait très bien pu résumer
Diabologum et son monde noir, pollué à la poussière de carbone : l'envie de flirter avec l'interdit, cette attirance aussi que l'on peut avoir pour les choses répulsives et horrifiantes.
Diabologum n'a d'amusant que ce mot ambigu au goût de gomme à mâcher magique, qui en un souffle se transforme en une jolie bulle rose. Pourtant composé d'humains,
Diabologum n'a pas son pareil pour entrevoir et nous conter mille et une choses effrayantes…Un quotidien épais, angoissant, qui nous prend comme entre une paire de tenailles rouillées.
Leur troisième effort
#3 - Ce n'est pas perdu pour tout le monde est sûrement l'album le plus noir qu'ai connu l'histoire du Rock Français. Le décor grisâtre ne manque pourtant pas de relief, jouant sur les nuances pour donner corps à des tentatives de chroniques de notre temps. Une recette simple: une musique crasseuse, épaisse comme boulette de pétrole amarrée à une plage bretonne, laminée par un fort vent expérimental. Par des guitares répétitives, tantôt semblables à des coups de butoir mortel, tantôt à un marasme mécanique noisy conduisant tout droit à la folie. Et par-dessus cette calamité, des voix pures plaquées, calquées, monocordes et autoritaires. Derrière chaque mot se cache une punition,
Diabologum ne chante pas,
Diabologum cogne.
Utilisant ce chant parlé pour se faire entendre et prendre un malin plaisir très masochiste à détruire les canons du rock pour qu'on le déteste un peu plus. Oui, c'est sous une forme prétentieuse et assurée que s'enchaînent les morceaux de
#3. Le groupe veut qu’on l’écoute et, de fait, se débarrasse des effets charmeurs d'un chant mélodique. Pour agiter tout en finesse, dans une ossature très efficace, des textes édifiants, glaciaux d'une incroyable poésie moderne… Un
Diabologum anagogique qui sur "De la neige en été" nous raconte l'histoire des masses grégaires que plus rien n'étonne, que plus rien ne fait réagir ("Il est trop tard / et personne n'a rien dit") et dont la seule issue est la destruction. "Il faut" pamphlet nihiliste d'envergure, colporte que l'Art ne peut vivre que dans sa constante mise à mort ("on dit que l'art est mort, mais il ne l'est pas encore, il faut le tuer"), l'Art ne peut se satisfaire de continuité morne et sans profondeur, l'Art n'est présent que dans la prise de risque et le bouleversement.
Diabologum aime aussi se faire passer pour un donneur de leçon, là encore pour qu'on le déteste encore plus. En déduire que
Diabologum est un groupe engagé serait à la fois inadéquat et imparfait,
Diabologum expose des faits gravés essentiellement dans un temps de crise et forcément le paysage semble muré. "365 jours ouvrables" se déploie comme le journal intime d'une jeunesse désabusée qui entre avec brutalité dans l'âge de raison, là où les illusions passées nous reviennent en pleine face pour nous confirmer qu’elles ne verront jamais le jour ("A part gâcher sa vie / Il n'y aura rien à gagner ici"). Une chanson à la Saez en beaucoup plus fin, plus abouti…
On conçoit allégrement que sur cet opus,
Diabologum gratte au fond de la gorge… de là à l'ériger en agitateur social aux effets alambiqués, il n'y a qu'un pas qu'il ne faut surtout pas franchir. En effet,
Diabologum est avant tout un groupe passionné de musique, perfectionniste et surtout très doué ! Il ne faut pas non plus négliger cette constante part de recherche dans leur façon de faire. De façon ludique, ils aiment utiliser, ça et là, des samples afin de créer des émotions réfléchies, voire instinctives. Nul ne peut que s'en convaincre après l'écoute du morceau "La maman et la putain" qui reprend un monologue culte du film de Jean Eustache, du même nom. Ce morceau à lui seul pourrait justifier l'achat de cet album sombre, dérangeant, mais véritablement unique dans le paysage musical français, comme mondial.
Suite dans la discographie du groupe de "
Le Goût Du Jour", album Pop/Rock banal mais tout aussi réussi, ce disque sera aussi le dernier du groupe. Les deux têtes pensantes du monstre, Michel Cloup et Arnaud Michniak, se sépareront pour poursuivre l'aventure chacun dans leur projet, entreprendre dans des voies toutes personnelles. L'un dans Experience, aux guitares Noisy mais un brin plus optimiste et l'autre dans Programme, au phrasé Hip Hop froid, désabusé, parsemé lui aussi d'agrément Noisy. Il apparaît illusoire de préciser que
Diabologum, même mort, continue de faire de plus en plus d'émules.
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