« Je te montrerai ton effroi dans une poignée de poussière. »
T.S. Eliot
Des débuts débraillés sous l’égide de Michael Stipe (R.E.M.) jusqu’à l’ultime et exemplaire «
At the Cut » (2009), toute l’œuvre de
Vic Chesnutt est un affrontement. Une œuvre faite de violences, de rires, de larmes, de sang et de sueur extirpée du néant par un poète qui, la tête haute et la rage au ventre, témoigna de la vie elle-même. Par un jeu de miroirs, les chansons de
Vic Chesnutt nous renvoient, avec une lucidité effrayante, le reflet brut de notre vraie nature soigneusement dissimulée derrière les masques de la comédie humaine :
Is the Actor Happy ?
Il y a quelque chose d’austère dans le songwriting de
Vic Chesnutt, un dépouillement qu’on retrouve dans sa façon toute particulière de gratter les cordes et de créer des accords ébréchés qui portent en eux toute la rudesse fiévreuse du sud (il était originaire de Géorgie, USA)… dans les résonances de sa guitare on s’imagine être un Milton Loftis* désespéré sous un ciel chauffé à blanc… Son chant un peu nasillard, un peu rocailleux, oscillant entre urgence et ironie donne vie à des textes poétiques, incisifs et le plus souvent sans illusion. Il n’y a pas de place pour les faux-semblants et la dissimulation dans l’art du songwriter. Il vise à l’essentiel et, tout comme un Townes Van Zandt, il bouleverse et émeut sans jamais s’abandonner à des apitoiements larmoyants.
Si dans la musique de
Vic Chesnutt on retrouve un peu du « Nebraska » sobre et aride de
Bruce Springsteen – par exemple le titre "Doubting Woman" – «
Is the Actor Happy ? » est marqué par la participation de musiciens qui ont collaboré avec des groupes comme Lambchop et R.E.M., permettant ainsi aux compositions géniales de simplicité du songwriter de se déployer avec assurance au travers d’arrangements retenus et distingués. Dans un chassé-croisé d’ombres et de lumières chaque instrument trouve sa juste place tout en soulignant les aspérités torturées de l’univers de Chesnutt. Dans ce sens on peut notamment citer les titres "Strange Language" et "Thumbtack", qui ne sont pas sans rappeler un
Neil Young, sur lesquels batterie et guitares alternent intelligemment mise en retrait et éclats rocks, voire martiales sur "Thumbtack". Ailleurs, basse (tenue par Tina, compagne de
Vic Chesnutt) et violoncelle offrent une assise tout en finesse au lyrisme du songwriter ("Free of Hope", "Guilty by Association"). A chaque instant les musiciens font preuve d’une totale dévotion envers les compositions de Chesnutt et à aucun moment ils ne font l’économie de leur talent et de leur inventivité. Ainsi, l’énergique mais fragile "Onion Soup" aurait aisément pu trouver sa place dans le répertoire d’un Electric Magnolia Co..
«
Is the Actor Happy ? » tient une place particulière dans la discographie de l’Américain : il est le premier album pour lequel le songwriter a disposé de suffisamment de moyens pour peaufiner son art et enregistrer ainsi des compositions à la fois plus accessibles et plus assurées que par le passé. Avec des titres - destinés à devenir des standards du folk contemporain espérons-le - comme le poignant "Free of Hope", le mélancolique "Betty Lonely" ou encore "Gravity of the Situation" et "Thailand", le folk rock unique en son genre de
Vic Chesnutt marque les esprits et apporte sa contribution - jamais démentie - à l’histoire du style.
*Personnage du roman "Un lit de ténèbres" de William Styron
Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire