L’électron libre est par définition un élément faiblement lié au noyau d’un atome. Ainsi, si l’on ne peut complètement détacher l’électron en question du noyau auquel il appartient malgré la déviance naturelle de son existence, on ne peut pas l’en rattacher non plus, tant son indépendance joue en faveur de sa particularité. Il est intéressant de constater que si l’on délaisse le domaine de la physique pour se concentrer sur la musique, la présente définition de l’électron libre ne change pas pour autant. C’est ce qui nous permet de dire que plus que quiconque en France,
Damien Saez est un électron libre. Autrefois chanteur/musicien fondu dans la masse au succès gravé dans les disques d’or, il s’est éloigné depuis bien longtemps du système reposant sur la médiatisation de la musique formatée pour laisser libre court à son talent, et pour « ne pas finir en sonnerie de téléphone portable » de ses propres mots. S’améliorant avec l’âge plus que n’importe quel grand cru, il revient fin 2012 avec son deuxième triple album, sobrement intitulé «
Messina ». A des années lumières du Saez
Jeune et Con du début de ce siècle.
« Les Échoués » – Portrait d’une société à l’agonie
La première partie du voyage que constitue
Messina, intitulée « Les Échoués », qui si elle n’apporte pas de grande variation par rapport au dernier album « J’Accuse » au niveau des textes, a le mérite de lui offrir une suite cohérente et toujours aussi poignante. Musicalement parlant,
Damien Saez varie cette fois et nous offre un rock parfois brut (« Les Échoués »), et parfois une musique plus reposante et travaillée, fidèle à son auteur (« Les fils d’Artaud », « Betty »).
Si lyrisme reste le maître mot de la musique saezienne, on peut ici ajouter les termes de mélancolie et de réalisme. Restant fidèle à lui-même, Saez mélange les titres levé-de-drapeau, tel que l’éponyme de cette première partie, dessinant assez fidèlement le portrait d’une société actuelle à l’agonie, avec des chansons d’un romantisme très baroque. Ces dernières (« Betty », « Marie ») apparaissent cependant ici plus travaillées que celle des précédents albums. Dans l’ensemble, cette première partie constitue un exemple fidèle de l’éventail de styles propres à son auteur, entre sa musique rock, mais aussi ses accents acoustiques, et ses instruments nobles (piano et violon) venant offrir leurs particularités à l’ensemble.
« Sur les Quais » - Puissance et romantisme
La deuxième partie diffère en offrant un son beaucoup plus brut que la précédente, les lourdes lignes de guitares se systématisant presque, résultant sur un rock noir-désirien des plus appréciables. La sublime « Marianne » ouvre le bal, dans laquelle Saez innove en mélangeant un cri de révolte avec, comme presque sur chacune de ses chanson ayant un prénom féminin, un hymne romantique écrit au sang d’un cœur qui ne bat plus. Mais c’est bien une déclaration de désamours que l’on a là et dans laquelle Saez confesse avoir autrefois aimé voire embrassé la démocratie, que l’on devine derrière le délicat prénom de l’égérie bien connue de la république française, avant que celle-ci ne se pervertisse pour ne devenir que l’ombre d’elle-même.
Véritable ode à l’anarchie, cette chanson constitue à n’en pas douter une des meilleurs de son auteur, et introduit parfaitement cette deuxième partie, constituée quasi-exclusivement d’hymnes en puissance. « Sur les Quais » et son côté vieille variété française, les montée en puissance de « Légionnaire » et des « Webcams de Nos amours », et bien entendu « Ma Petite Couturière », qui prouve que Bertrand Cantat n’a pas à s’en faire pour sa relève.
« Messine » - Symphonie et grandiloquence
En totale dissonance par rapport à ce qui la précède, la troisième partie se veut à dominante symphonique, frôlant la musique classique, l’épousant parfois. La piano a ici remplacé la guitare dans le rôle de l’instrument compositeur, et se révèle donc fondamental. Sortant plus que jamais des schémas de la musique formatée de radio, Saez ouvre sa dernière partie sur près de six minutes d’instrumentale classique. S’en suit la très (trop ?) théâtrale « Aux Encres Des Amours », dont on retrouvera le thème plus loin dans l’album, ces deux-là constituant les plus courts morceaux de Messine, avec une durée légèrement inférieure à cinq minutes.
Loin de ressembler à ce qui se fait en France actuellement, Messine est tout de même équipée de chansons plus accessibles, comme la jolie ballade « Les Meurtrières », rappelant assez la non moins jolie « Marguerite », que ce soit au niveau de sa composition ou de la justesse de ses paroles, à mi-chemin entre jeux de mots et désignation de l’indescriptible.
Bien sûr la perfection n’existe pas, et
Messina possède également son lot de défauts. Que ce soit la candeur presque adolescente qui subsiste en Saez à travers certains textes, les structures répétitives qu’aime à utiliser ce dernier, qui alourdissent considérablement l’ensemble, alors même que tout ça est déjà très lourd à la base (145 minutes de musique, s’il vous plaît !), ou bien entendu sa voix si particulière, qui pourra en irriter certain après une écoute prolongée. Mais en dépit de ça, Saez déverse à travers ce tryptique musical un flot de rage et d’amour qui submerge immanquablement l’auditeur, et démontre une nouvelle fois que personne dans la scène rock française n’est susceptible de lui arriver à la cheville.
Messina se distingue du reste de sa discographie par sa recherche très poussée de l’instrumentation, et constitue à n’en pas douter la pièce maîtresse de son œuvre. Et il en profite pour offrir là à la musique française une de ses pièces contemporaines les plus aboutie. De quoi s’impatienter quant à la suite déjà annoncée et imminente de
Messina, «
Miami ».
Mais bon c'est son style, apprécier ou pas après c'est du domaine du subjectif quoi !
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