Une des choses qui me donne toujours envie de chercher dans la gigantesque meule de foin du rock et du métal, c'est le plaisir d'être surpris. Et je dois dire que dès que j'ai le malheur d'écouter une minute de Djiin, il y a toujours quelque chose pour stimuler ma curiosité.
Sur le papier, avoir une chanteuse doublée d'une harpiste dans un groupe de stoner peut sembler pour le moins incongru : mais où on met la harpe, ça doit prendre de la place dans le van en tournée ? Plaisanterie à part, c'est à l'écoute ou de visu sur ce que ça donne en concert que je me dis que ça aurait été criminel de ne pas profiter de cette possibilité !
Ce n'est pas peu de dire que Djiin ne rentre pas dans la restrictivité des cases musicales : rock 70' mais pouvant se déchaîner dans des extrêmes métalliques, gras et fuzzy comme du stoner, planant et aventureux comme du prog psychédélique. Le groupe fondé à Rennes en 2015 et basé à Nantes depuis deux ans est aujourd'hui constitué de Chloé Panhaleux (chant, harpe électrique), Tom Penaguin (guitare , chœurs), Charlélie Pailhes (basse, chœurs) et Allan Guyomard (batterie, chœurs). Il a sorti deux LP, "
The Freak" en 2019, et "
Mandering Soul" en 2021. Leur troisième disque "
Mirrors" a été enregistré, mixé et masterisé par Peter Deimel au Black Box Studio, et est paru le 3 mai 2024 chez Klonosphere/Season of Mist.
Malgré des compositions d'une longueur conséquente, culminant à plus de treize minutes sur "Iron Monsters", Djiin garde le fil d'Ariane en poussant à fond ses explorations musicales et sensorielles (jusqu'à cette voix flippante de gobeline possédée, sur la fin de "Iron Monsters" justement), ou des touches folk presque païennes "(In the Aura of my Own) Sadness", sans jamais se perdre tout à fait. Le groupe sait attirer l'oreille très vite pour capter l'attention, avec des riffs lumineux en ayant une musique lisible et facilement compréhensible malgré sa complexité.
Djinn m'apparaît comme l'éruption de deux sources créatives intriquées : la voix de Chloé Panhaleux d'abord, virevoltante entre émotions écorchées et rêveries éveillées, les quelques notes de harpe qu'elle distille à des endroits judicieux (cette descente cristalline sur un accord mourant de guitare au milieu de "
Fish"). Ensuite, le jeu haut en couleurs du guitariste Tom Penaguin, dont les changements d'accords ébahissants vous désarçonnent régulièrement, et ne sont pas sans me rappeler le génial lutin Nick
Lee de Moon Tooth, et déclenchent la sensation d'avoir découvert un lieu caché et magnifique, et donnent envie d'être encore mis par terre de plaisir. Lorsque la technique est mise en valeur, c'est de manière ponctuelle, comme cet ébouriffant riff tournoyant au milieu de "(In the Aura of My Own) Sadness". La palette du guitariste est extrêmement large, et il prend des risques en permanence, en flirtant parfois avec quelque chose qui sonne à la limite du faux ("
Mirrors") pour forcer l'étrangeté de certaines mélodies.
La section rythmique joue une partition déstructurée, qui articule les morceaux et ajoute du liant entre les mélodies de la guitare et de la voix. La batterie se fait parfois tribale, comme sur "
Mirrors", sur une rythmique fluctuante qui sonne à la fois comme du 4/4 et comme du ternaire suivant les coups qu'on écoute. La basse dépeint les arrières plans du paysage musical, et enrichit encore les lignes dessinées par la guitare .
La voix de Chloé suit la voie d'une liberté sans entraves que
Janis Joplin a défrichée avant elle pour l'éternité. Son timbre varie énormément, et me fait penser, je ne sais pas pourquoi, à une
Tori Amos plus grave et rocailleuse, avec les explosions imprévisibles d'une Julie Christmas, ou le velours rauque de Nadine Shah, sur "
Mirrors". Sur la fin chaotique de "Blind" Chloé pousse des screams absolument défoncés et joue avec les limites de sa voix.
Il n'y a pas à dire, les amateurs de psyché/stoner/prog sont gâtés en ce début 2024, après les superbes albums de
Monkey3 et Slift, celui de Djiin est une petite perle. Sur "
Mirrors", le groupe a encore passé un palier par rapport à son précédent album "
Mandering Soul", même en ce qui concerne la production sobre, charnue et claire, et a fait fleurir la quintessence de sa musique. Je m'aperçois que je n'ai soulevé aucun point négatif sur ce disque, mais pourquoi chercher la petite bête lorsque rien ne vient gâcher un beau moment de quarante deux minutes?
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