Etrange entité qu’est
Daturah. Ce nom ne vous dit rien ? La datura est une plante pouvant être utilisée comme une drogue, induisant un état de conscience comparable au delirium tremens, autrement dit un état confusionnel où l’individu est sujet à de véritables hallucinations (semblables à un début de psychose aigüe), qu’il ne peut distinguer de la réalité, tant leur aspect semble réel. Voilà qui introduit convenablement la musique de
Daturah : quelque part entre la réalité et l’imaginaire.
Evoluant dans les sphères du post-rock, on ne sait que peu de choses sur le groupe, si ce n’est qu’ils sont six, qu’ils sont allemands, qu’ils existent depuis 2003, et qu’ils ont déjà à leur actif, en plus du présent album, un autre premier essai sobrement auto-titré datant de 2005. Qui dit post-rock, dit forcément atmosphères aériennes et envoûtantes. Oui mais voilà, depuis un bon moment déjà, le mouvement voit apparaître nombre de groupuscule émergeant sans grande originalité, où l’ennui domine plus que les sensations qu’on est en droit d’attendre lorsque l’on se procure un album du genre. Mais rassurez-vous tout de suite, ce
Reverie porte à merveille son nom.
L’artwork est travaillé, tout en restant assez sobre, dans des tons marrons/jaunes rendant un aspect vieilli, comme de vieux prospectus un peu passés. Cinq morceaux pour une heure de musique, des compos qui prennent leur temps, des titres peu évocateur…
Daturah semble ainsi jouer la carte du mystère, où plutôt devrais-je dire qu’il n’impose pas ses idées, il n’impose aucune piste pour interpréter sa musique, et c’est là chose très appréciable. On notera l’intérieur du livret et son travail graphique à l’opposé du travail externe : une sorte de construction en ferraille, complexe, minutieuse. Au fond, on perçoit les deux éléments de la musique même de
Daturah : d’un côté la fuite et l’envol, de l’autre le travail minutieux qu’exige la musique, avec toujours cette noirceur en toile de fond.
Deux guitares, l’une pour que s’égrènent les notes, l’autre pour le mur de son si caractéristique du post-rock, avec également des passages plus rock voir quasi metal dans les montés en puissance. Une basse, parfois froide, parfois bien épaisse et saturée, une batterie aux jeux variés, ainsi qu’un synthé/sampler, viennent compléter l’ensemble. Le sixième membre s’occupe quant à lui du travail visuel sur scène. Le son est très propre, comme on peut s’en douter d’ailleurs ; le tout est bien mixé, aucun élément n’étant plus en avant qu’un autre quand il ne le faut.
Daturah propose une musique instrumentale, ne vous attendez donc pas à voir se manifester une voix. Notons tout de même qu’émerge ici où là des samples de voix, ceux-ci restant épars et plutôt discret, prenant pleinement part à la création en elle-même.
Si je m’arrêtais là, je n’aurais encore rien dit de
Daturah. Car effectivement jusqu’ici, rien ne laisse transparaître que l’on a ici une perle de post-rock, un joyau à des années lumières de ce que l’on peut trouver habituellement dans ce domaine. La musique de
Daturah, si elle n’invente rien, pioche dans ce qui se fait de mieux pour réaliser sa propre alchimie et transformer le plomb en or. Chacun des 5 morceaux crée sont propre monde pour créer ensembles un univers fait de rêves, d’envols, de ciel bleu, de nuits étoilées, de sentiments divers et variés.
Une tristesse se dégage nettement de l’album, une sombre toile de fond qui s’étend, comme une note de résignation, comme un bonheur que l’on sait inatteignable, une mélancolie poétique mirifique s’étendant d’un bout à l’autre de l’album. Et c’est bien là que
Daturah frappe un grand coup : son savant mélange entre note dissolue typiquement post-rock, océan de calme et d’apaisement bercé par des mélodies fébriles et intenses, et montée en puissance très metal, d’une lourdeur fatidique et accablante, renforce la puissance de cette sensation et de la musique elle-même. On est alors submergé, emporté par une vague de sensations, un mælstrom d’émotions.
Les souvenirs abondent à l’écoute de ce voyage chimérique et l’on se surprend à s’abandonner, le regard perdu suivant la lente marche des nuages dans ce ciel si lointain. Le temps s’arrête et semble même disparaître, l’on disparaît soi-même et on se retrouve à penser à toutes ces choses nostalgiques auxquelles on s’interdit de penser d’habitude. Le monde paraît alors bien fade et futile, seule la musique semble mériter d’exister. Les décibels de
Daturah sont magiques, elles ont en elles un pouvoir extraordinaire, celui de nous détacher de la réalité et de nous emmener ailleurs.
Reverie, ai-je dit au départ, est un titre parfaitement choisit, et je le répète ici. Les pensées se succèdent au gré de notre imaginaire, on se laisse aller sans en saisir une plus qu’une autre, on se laisse emporter par le vague, le lointain, pour finalement ne plus jamais atterrir, du moins semble-t-il, après l’absorption de ce Datura(h).
En sommes,
Daturah n’invente rien. Mais il se sert à merveille des ingrédients à sa disposition pour nous emporter dans son coma musicale, pour créer un univers prenant qui nous transporte au loin dès les premières notes, vers un ailleurs inexistant que l’on rejoint par le biais de notre propre
Reverie.
Daturah signe ici un chef d’œuvre d’une majestuosité évidente, à la fois gigantesque et sans prétention aucune. Une merveille de musique intimiste, sans doute même, osons le dire, intemporel, voir a-temporel…
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