Avec leur premier album, Emerson, Lake et Palmer ont prouvé que leur projet commun ne se résumait pas à une redite plus ou moins affirmée de
The Nice,
King Crimson ou
Atomic Rooster, même si l’héritage en est incontestable. En 1971, il est temps de frapper un grand coup pour se mettre au diapason des formations progressives de l’époque qui ont toutes livré des chefs d’oeuvre. Comme beaucoup de ceux-là justement, le trio décide d’occuper toute la première face de leur LP par un seul titre, le morceau-titre, long de plus de 20 minutes, un exercice dans lequel chacun semble en mesure de briller.
Le morceau-titre justement,
Tarkus, raconte l’histoire bien curieuse d’un alliage animal-tank qui affronte d’autres créatures du même genre dans des combats violents, une métaphore plutôt habile des conflits sur Terre. Côté musique, autant le dire, tout est génial, les claviers passent allègrement du moog à l’orgue en passant par le piano ou l’hammond, Keith Emerson cavale sur ses nombreux claviers et étale son immense talent dans des démonstrations à la fois techniques et hautement mélodiques. La section rythmique n’est pas en reste, la bass de Greg Lake délivre un fond sonore lourd et inquiétant tandis que Carl Palmer illumine l’ensemble par ses breaks et ses rythmes allant d’une puissance ravageuse à une admirable finesse jazzy. Les prouesses techniques sont innombrables mais l’efficacité est toujours au rendez-vous, certains passages sont très planants tandis que d’autres sont d’une remarquable puissance ou d’un groove imparable. Après un titre aussi extraordinaire, le groupe relâche un peu la pression et surprend par la légèreté du mignon Jeremy Bender, on trouve même à la fin un rock ‘n’ roll survolté, Are You Ready Eddy?, faisant grandement penser à
Jerry Lee Lewis, et dans lequel Keith Emerson ne manque pas de briller avec son piano dans un registre à des années lumière de
Tarkus. Le groupe ne se prive néanmoins pas de quelques perles progressives, raccourcies certes, mais non moins fines et attrayantes, à commencer par l’incroyable Bitches Crystal, Carl Palmer est toujours brillant, il est cette fois complètement ahurissant, enchainant rythmes complexes et rapides avec une habileté invraisemblable, naviguant entre le raffinement d’un batteur de jazz et la fulgurance d’un batteur de heavy metal. Bien que Palmer soit incontestablement l’homme de Bitches Crystal, Keith Emerson n’arrive pas loin derrière et fait dignement résonner son piano, tandis que Greg Lake traduit avec brio la tension dégagée par les musiciens, tantôt hurleur, tantôt décontracté, il complète brillamment le tableau dressé par ses partenaires. Soulignons aussi A Time and a Place, qui offre malgré sa durée assez courte une structure complexe et des airs à la fois délirants et épiques, ou encore The Only Way, empruntant habilement des airs pop en les incluant dans des nappes d’orgue à la fois froids et glorieux.
Sur bien des points,
Tarkus est un coup de maitre. Le trio a réussi à se consolider après avoir frôler la dissolution, les capacités techniques des 3 membres du groupe n’occultent pas une qualité de composition talentueuse et une désir d’originalité indéniable.
Tarkus sera malgré sa complexité un succès et attirera les fans de rock progressif, de nouveau secoué par un nouveau chef d’oeuvre du genre.
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