The Stooges

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16/20
Nom du groupe The Stooges
Nom de l'album The Stooges
Type Album
Date de parution 05 Août 1969
Produit par John Cale
Style MusicalPunk-Rock
Membres possèdant cet album88

Tracklist

1.
 1969
 
2.
 I Wanna Be Your Dog
 
3.
 We Will Fall
 
4.
 No Fun
 
5.
 Real Cool Time
 
6.
 Ann
 
7.
 Not Right
 
8.
 Little Doll
 

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The Stooges


Chronique @ ZazPanzer

16 Janvier 2018

La boussole cachée...

« Des gens escaladent l’Everest, est-ce qu’ils sont moins tarés ? D’autres personnes se font envoyer sur la Lune. Pour quoi faire ? J’ai pris des trucs qui vous permettaient de faire ça sans aller nulle part. Oui, des gens sont morts, mais était-ce plus insensé que les aspirations que les êtres humains ordinaires mettent sur un piédestal ? »

C’était il y a un demi-siècle… Le 5 août 1969, alors que l’adjectif «punk» n’existait pas encore (il ne sera popularisé qu’en 1975 par le fanzine newyorkais de Legs McNeil), un certain Iggy Pop, entouré de trois marginaux crasseux, crachait à la face du monde le tout premier glaviot de l’Histoire du Rock’n’Roll, génialement intitulé «The Stooges» (les crétins)… Trois ans avant la bombe, pourtant, absolument rien ne semblait prédestiner James Osterberg Jr. à devenir L’Iguane, entendez le junkie cradingue, dépravé, antisocial, maniaque sexuel et psychopathe dangereux que le monde connaît aujourd’hui… Que s’est-il passé ? … Retour sur les lieux du crime.

Nous sommes au début des 60s et James, né en 1947, fils unique d’un professeur et d’une secrétaire, vit une vie saine et équilibrée à Ann Arbor dans le Michigan. Tout juste noterons-nous qu’il n’habite pas un pavillon mais un mobil-home du trailer-park situé en périphérie de la ville, un choix de la famille qui marque profondément le jeune homme. Certes, Jim n’est pas le littéraire (qu’il deviendra d’ailleurs plus tard) avec lequel son intellectuel de père aurait aimé converser, mais c’est un bon élève dont la personnalité séduit les étudiants friqués qu’il fréquente à la Ann Arbor Pionneer High School (en leur cachant son modeste lieu de vie). Ses parents se réjouissent même de la passion de leur fils pour un domaine artistique différent : la Musique. Le fiston a découvert Little Richard, Chuck Berry et Jerry Lee Lewis en 1961 et s’est mis aussi sec à taper sur une batterie (installée au milieu de la caravane !). Jim est doué et il bosse dur. En 1963, il est devenu assez bon pour monter son propre groupe, qu’il baptise «The Iguanas» du nom d’un animal qui le passionne. Le succès est immédiat : la bande écume le Michigan, s’exportant par exemple jusqu’à Harbor Springs, station balnéaire distante de 400 bornes d’Ann Arbor, où les jeunes sont engagés pendant toutes les vacances estivales 1965 au Ponytail Club, une boîte à la mode. Mais c’est l’année de la «graduation», le fameux diplôme marquant la fin du lycée aux USA (que James obtient sans problème) et, après avoir enregistré un 45-tours à Detroit (tiré à 1000 exemplaires), les Iguanas splittent à la fin de l’été pour rentrer à la fac. Jim, qui a alors 18 ans, s’y inscrit avec ses copains (en section Anthropologie) mais ne se rendra en cours que quelques semaines. Non, il ne reviendra pas en arrière… Sa passion pour la Musique est plus forte que tout, y compris les engueulades avec son père, et il croit en ses chances de passer professionnel : il est devenu en quelques mois l’un des batteurs les plus réputés de la région ! En attendant une opportunité à la hauteur de ses ambitions, Iggy (le surnom lui reste des Iguanas), rejoint les Prime Movers, un groupe de Blues du coin, et se fait embaucher comme manutentionnaire à Discount Records, le disquaire d’Ann Arbor.

C’est justement devant ce magasin que traînent toute la journée trois petites frappes déscolarisées qui passent la journée à fumer des clopes en parlant des Beatles et des Stones et en crachant sur les bagnoles : les frangins Asheton et leur voisin Dave Alexander. Ils portent des boots qui montent jusqu’aux genoux et des vestes en cuir sur lesquelles tombent des cheveux longs, sans oublier les rouflaquettes qui vont bien ! Iggy est attiré par leur dégaine et leur putain d’attitude, tellement à l’opposé de celle des fils à papa qu’il fréquentait au lycée, et tellement à l’opposé de la sienne… Car le jeune James, en 1965, porte encore des mocassins, des pantalons à pince et des pulls en cachemire ! Il ne fume pas car il est asthmatique, ne boit pas, ne se défonce pas et se demande encore quoi faire de la trompe qu’il a entre les jambes… Si Scott Asheton et Dave Alexander sont des voyous de base, buveurs, bagarreurs et branleurs, Ron Asheton est lui le weird kid du quartier : il collectionne drapeaux, médailles et dagues du III° Reich et apparaît régulièrement vêtu d’un uniforme SS ! … Une passion qu’il tient de son père, pilote chez les Marines décédé en 1963, qui lui a légué ses trophées…

Les jeunes sympathisent… Ron raconte à Iggy qu’il revient d’Angleterre. Il a vendu sa moto pour payer le voyage et s’est rendu quelques jours à Liverpool avec le poto Dave histoire d’y vivre le Rock’N’Roll à sa source : « On est allés voir les Who à la Cavern. La salle était pleine à craquer. On a joué des coudes jusqu’à trois mètres de la scène et Townshend s’est mis à exploser sa Rickenbacker. C’était ma première expérience de chaos total. Les gens se bousculaient pour essayer de monter sur scène et Townshend faisait des moulinets au-dessus de leur tête avec sa guitare. On ne peut pas dire que le public applaudissait : c’étaient plutôt des sons d’animaux, des hurlements. Toute la salle s’était mis dans un état vraiment primitif. J’étais terrorisé. .. Mais j’étais fasciné. Jamais je n’avais vu des gens perdre la tête à ce point-là – cette musique pouvait pousser les gens à des extrêmes hyper dangereux. C’est là que j’ai compris que c’était ce que je voulais faire coûte que coûte. Quand on est rentrés, on s’est fait virer du lycée. » Les trois loubards montent alors leur premier groupe (notez le nom qui fait déjà tellement punk en 1965 : les Dirty Shames !) : Scott est à la batterie, Ron à la guitare et Dave à la basse… Mais le combo se saborde après quelques répétitions seulement… car il sonne comme de la merde. Iggy propose alors à Ron de rentrer dans les Prime Movers qui cherchent un nouveau guitariste… Asheton se fait virer après deux semaines de répétition : contrairement à Iggy qui est déjà un vrai musicien, Ron ne sait pas jouer ! Il devient finalement le roadie du groupe…

À l’automne 1966, faisant écho au pèlerinage (voyage initiatique ?) de Ron et Dave à Liverpool, Iggy décide subitement de s’installer à Chicago pour percer le mystère du Blues… Parti avec 90 cents en poche, il squatte le sous-sol d’un disquaire et passe ses nuits avec les légendes du swing qu’il était venu trouver. «J’étais littéralement le seul Blanc alentour… Ce que j’ai remarqué chez ces Noirs c’est que la musique coulait de leurs doigts comme du miel. J’ai réalisé que je n’arrivais pas à la cheville de ces types, et que ce qu’ils faisaient était si naturel pour eux qu’il aurait été ridicule de ma part de les copier scrupuleusement, comme faisaient la plupart des groupes de Blues blancs. Puis un soir j’ai fumé un joint. Avant ça, je ne m’intéressais pas aux drogues, et ça ne m’intéressait pas spécialement de me saouler non plus. Et j’ai fumé ce joint et j’ai eu une illumination. Je me suis dit : ce qu’il faut que tu fasses, c’est jouer ton propre Blues, tout simple. Je dois pouvoir décrire ma propre expérience en m’appuyant sur la façon dont ces types décrivent la leur…» Iggy rentre à Ann Arbor au printemps 1967, décidé à faire quelque chose de nouveau. Il appelle les frères Asheton.

Commence alors une période douteuse durant laquelle le trio se gave d’acide et expérimente tout et n’importe quoi dans le sous-sol des frères Pétard. Scott est à la «batterie» (des bidons en fait) tandis qu’Iggy bricole des sons bizarres à l’aide d’un aspirateur, d’un marteau, de chaussures de golf, d’une guitare hawaïenne et globalement de tout ce qui lui tombe sous la main. Au milieu de ce bordel, Ron essaie de jouer de la basse. Ne doutant pas un seul instant que cette musique révolutionnaire fera parler d’elle, les gars osent se baptiser : ils seront les Psychedelic Stooges en référence aux trois stooges (les trois corniauds), une émission télévisée comique suivie par toute l’Amérique, qu’on pourrait comparer au Benny Hill Show pour donner une idée aux Européens que nous sommes… Les mois passent et la popularité du «groupe» grandit néanmoins… grâce à l’effet de surprise ! Les spectateurs des quelques concerts qu’ils donnent sortent des shows interloqués, n’arrivant pas à décider si le truc auquel ils viennent d’assister est une plaisanterie, une escroquerie ou une révolution artistique à côté de laquelle il ne faudrait pas passer… En tous cas, on parle d’eux en ville, assez pour qu’un manager décide de les prendre sous son aile… Il s’appelle Ron Richardson et s’occupe à ses heures perdues de petits gars du coin comme les MC5 ou Bob Seger

Arrive alors Le 20 octobre 1967. Strange Days, second et sublime album de la bande de Jim, vient de tomber dans les bacs, et les Doors sont programmés dans la salle de sport du Campus de l'Université du Michigan. Ron et Scott sont recalés à la porte mais Iggy réussit à rentrer avec sa carte d’étudiant périmée. « C’était un concert pour tous ces gros balourds machos américains et leurs nanas. Ils étaient venus pour voir le groupe qui avait fait “Light My Fire”. Le groupe est monté sur scène sans Morrison. Ils jouaient le riff d’intro de “Soul Kitchen” en boucle en attendant l’entrée en scène du chanteur. Finalement Morrison est arrivé sur scène en titubant, mais très sensuellement. C’était évident qu’il avait pris quelque chose. Il était incroyable à voir. Il a fait quelques pas incertains, genre “je vais chanter mais pas tout de suite !”… Et les américains de base pensaient : “c’est quoi cette tapette ?” Et quand enfin Morrison a ouvert la bouche, il a chanté d’une voix de tapette – un falsetto ! Il a chanté comme Betty Boop mec, il refusait de prendre sa voix normale ! J’étais complètement enthousiasmé ! J’adorais l’attitude négative, j’adorais qu’il les emmerde ! Oui, oui, oui ! C’étaient que des mecs de fraternités étudiantes, des tueurs au football, les futurs dirigeants de l’Amérique, et non seulement Morrison les emmerdait, mais en même temps il les fascinait. Je tripotais cette petite nana que j’avais emmenée avec moi, et je pensais “c’est génial !” Le concert n’a duré que vingt minutes, vu qu’ils ont été obligés d’entraîner Morrison hors de la scène car les gens étaient sur le point de l’attaquer. Ça m’a fait une forte impression. C’est là que je me suis dit : ils sont minables et c’est eux qui sont numéro 1 dans le pays. Si ce type peut y arriver, je peux y arriver. Et il faut que j’y arrive maintenant. Je ne peux plus attendre. » Ce 20 octobre 1967, ce n’est pas James Osterberg Jr. qui ressort du concert, mais son double maléfique Iggy -qui ne s’appelle toujours pas Pop !-, la tête pleine d’idées débiles et de projets odieux.

Début 1968, les Psychedelic Stooges reviennent à une formation un tout petit peu plus classique. On appelle le copain Dave Alexander (jamais bien loin, toujours bourré) pour qu’il vienne tenir la basse, et Ron récupère sa gratte. Le kit de Scott commencerait presque à ressembler à une batterie, et Iggy envisage éventuellement de se mettre au chant… Les bidons et autres aspirateurs font en tous cas toujours partie des gigs qu’ils donnent devant un public de plus en plus nombreux et de plus en plus choqué, Iggy se lâchant complètement depuis le fameux concert des Doors. Le frontman ne recule plus devant rien pour provoquer : aidé par des acides qu’il gobe désormais à longueur de journée, Iggy, vêtu d’une robe ou d’une chemise de nuit, se pointe sur scène le visage grimé de fard blanc sous une perruque afro faite de papier alu froissé… Il s’est rasé les sourcils. C’est d’ailleurs grâce à cette dernière excentricité qu’Iggy est baptisé “Pop”, Ron et Scott connaissant un gars à Ann Arbor ayant perdu tous ses poils suite à un problème nerveux… Ils appellent ainsi Iggy “Pop” pour se foutre de sa gueule, ne pouvant se douter que le nom rentrerait dans l’Histoire… Le show des Stooges tient alors plus du spectacle new-age SM que du concert de Rock : pendant un quart d’heure, dans une tempête sonore assourdissante pré-indus’, Iggy, en transe, se contorsionne, se mutile, crache sur les spectateurs ou colle sa bite contre les amplis, jouant la surenchère à chaque représentation, le concept restant invariablement de « faire exploser les murs et rendre les gens marteaux. »

La Chance, cette putain de Chance… Elle finit par sourire au groupe via leurs potes de scène (et surtout de défonce) du Motor City 5 lorsqu’Elektra (le label des Doors) envoie Danny Fields à Detroit pour signer le groupe de Wayne Kramer et de Fred “Sonic” Smith, géniteurs du mythique titre “Kick Out The Jams”. Suite au concert du MC5 le samedi soir, c’est Wayne Kramer qui conseille à Fields d’aller voir ses potes les Stooges le lendemain avant de rentrer à New York… Et ce 22 Septembre 1968, après le spectacle déjanté des corniauds et un coup de fil à NYC, Elektra recrute les deux combos du Midwest : Danny signe un chèque de 20 000 $ au MC5 et un autre de 5 000 $ aux Stooges ! Les sommes sont absolument dérisoires, même pour l’époque, mais elles laissent évidemment les musiciens enchantés… Et stupéfaits. C’est sûrement à cet instant qu’Iggy réalise qu’il va falloir écrire des chansons.

L’enregistrement du premier album à New York étant programmé quelques mois plus tard, les Stooges se mettent au travail… Ahaha, vous y avez cru ? Pensez-vous… Iggy ne trouve rien d’autre à faire que de se marier ! Les épousailles sont célébrées en présence du MC5 et de quelques paumés dans le jardin de la maison du groupe (les boys n’habitent pas encore la Fun House mais une dépendance dans la propriété de leur nouveau manager Jimmy Silver). L’inconsciente est juive et sa famille refuse de venir. Heureusement car Ron, qui est témoin, porte son uniforme SS et hisse le drapeau à croix gammée pendant la cérémonie… Le plat de fête consiste en une cocotte de blé noir macrobiotique que personne ne touchera, et le grand jeu de la journée est de prendre des paris sur la durée du mariage. Ron, qui avait vu très large, remportera finalement les gains : la demoiselle s’enfuit un mois plus tard, au bout du rouleau. Les papiers du divorce stipulant qu’Iggy, homosexuel, n’a pu consommer le mariage, sont glorieusement affichés dans la cuisine pendant plusieurs semaines. Iggy se met alors à la colle avec Betsy, une gamine de 14 ans… Il apprend au même moment qu’une des très nombreuses jeunes filles ayant profité de ses atouts est enceinte (Iggy reconnaîtra son fils Eric mais ne l’élèvera pas). Le local des Stooges devient le repère des détraqués de la région, quelque part entre un baisodrome pour pédophiles, un asile psychiatrique, une salle de répét’ et la plaque tournante du trafic de drogue du Midwest…

Attendus au Hit Factory Studios de New York pour offrir leurs compositions à l’Éternité, les quatre péquenauds d’Ann Arbor débarquent finalement au légendaire Chelsea Hotel en Avril 1969. Quelques jours avant l’entrée en studio, Iggy et Ron sont invités par leur label à la branchouille Factory d’Andy Warhol. Les deux provinciaux (Ron tenant Iggy en laisse pour ne pas le perdre après sa première consommation de PCP) déambulent dans le QG de l’underground artistique newyorkais en se demandant où ils ont atterri, hallucinant de voir “tous ces homosexuels regroupés pour prendre du speed”… Et Iggy y rencontre la jolie Nico du Velvet Underground. L’égérie de Warhol, qui s’est immédiatement éprise de lui, l’accompagne aux sessions d’enregistrement supervisées par John Cale, qui vient de quitter le Velvet après l’échec commercial de “White Light / White Heat” et une énième engueulade avec le caractériel Lou Reed. Les premiers échanges entre les Stooges et John sont tendus, Ron et Dave refusant de jouer autrement qu’avec les amplis à fond, et Cale tentant vainement moultes explications techniques et rationnelles sur les notions de base d’une prise de son… La confrontation s’éternise jusqu’à ce que les Stooges se mettent en grève. « On a posé nos instruments, on est allés dans un des boxes insonorisés et on s’est mis à fumer du hasch. Notre compromis, ça a été : “Ok, on va le régler à 9”. A la fin, il a juste dit : “Oh et puis merde”, et il a fait avec. » …

John Cale « fait avec »… Et réussit finalement un coup de génie en captant sur bande l’essence même de ce que représentent alors les Stooges… Et je ne parle pas de Musique !… Car ce qu’on entend sur cette galette, c’est l’inconscience, l’indifférence, l’autodestruction, le nihilisme, l’anarchie… Que ce soit clair, ce disque te tend son majeur bien haut et te montre son cul : ce disque EST LE PUNK. Avant que l’on puisse mettre un mot sur cette attitude. Et même si Iggy se chargera finalement du mixage final, c’est bien à John Cale qu’on a envie de dire amen, merci ou fuck off, au choix… Alors attention quand même, les gars, on est en ’69, ne vous attendez pas non plus à vous prendre du Exploited dans la gueule (et arrêtez avec le terme “proto-punk“ sérieux, c’est ridicule ce préfixe)… La prod’ renvoie clairement à son époque, mais de façon très crue. Elle brille notamment en mettant constamment en avant les interventions lead de Ron à la wah-wah qui sont comme des putains de coup de couteau dans le bide ! Ce pur son nous emmène directement dans la cabine de mixage avec Cale et Nico, où nous apercevons par la vitre les quatre délinquants sous influences s’exciter sur leurs instruments et tirer la langue pour éviter les pains ! Imaginez le tableau, d’ailleurs : pour une raison échappant au commun des mortels, le bassiste du Velvet porte pendant tout l’enregistrement une cape noire type Dracula et Nico, assise à ses côtés devant la console, tricote… !!! De l’autre côté du hublot, Iggy, torse-nu, s’égosille sur les rythmiques hypnotiques qu’Asheton fait tourner en boucle en y insufflant sa touche de brute, partant en solo dès qu’il en a l’occasion en martyrisant sa pédale wah-wah…

On se rend bien compte que les Stooges sont encore de piètres musiciens : les riffs sont basiques et trahissent les influences des gamins (les Who et les Doors essentiellement). La wah-wah de Ron, omniprésente, lui sert évidemment à camoufler son jeu de débutant sortant toujours le même plan, à savoir la gamme pentatonique de base… Scott et Dave ne nous délectent pas de moments de bravoure non plus, on n’a pas vraiment affaire à Keith Moon et John Paul Jones aha, mais les gars ne s’en sortent pas si mal étant donnés leurs tristes CV et le fait que les prises de son aient été réalisées en 48 heures ! Quant à l’Iguane, il utilise lui aussi toujours le même stratagème : répéter les dix mots constituant les lyrics de son morceau en les faisant monter en puissance jusqu’à s’en arracher les cordes vocales (et certainement jusqu’à s’en fracasser la tête contre les murs du studio)... Mais qui avait osé avant ? Ben personne. Faudra le dire à Jésus, ce sont les Stooges qui ont jeté la première pierre. Et quand on pense que le seul véritable zicos du groupe était batteur et qu’il a finalement chanté, on peut s’estimer heureux du résultat !

Trois titres sur huit sont entrés dans la Légende : “1969”, “No Fun” et bien sûr l’ultime “I Wanna Be Your Dog”. Les Doors avaient enterré le Summer Of Love dès l’automne 1967 avec le désenchanté et suicidaire Strange Days, les Stooges, eux, se sont habitués au désespoir. Il fait partie de leur vie, ils l’ont accepté et le ruminent avec colère. Leur constat est simple : on s’emmerde dans notre ville de merde avec notre vie de merde. “Well it's 1969 OK / all across the USA / It's another year for me and you / Another year with nothing to do” - “No Fun my babe No Fun / No Fun to hang around / No Fun to be around / No Fun to be alone / In love with nobody else”. Alors plus rien à foutre de rien, autant tout péter, se défoncer à mort et baiser à couilles rabattues : “So messed up I want you here / In my room I want you here / Now we're gonna be face to face / And I'll lay right down In my favorite place / And now I wanna be your dog / Now I wanna be your dog / Now I wanna be your dog”. Dans ta gueule !

La surprise de l’album vient finalement aujourd’hui des ovnis “We Will Fall” et “Ann”, sublimes plongées introspectives en décalage complet avec les brûlots évoqués précédemment et connus de tous. Un peu dans l’esprit du “My Wild Love” des Doors (“Waiting For The Sun”, 1968), mais encore plus réussi à mon sens, “We Will Fall” se présente sous la forme d’un long mantra psychédélique déroutant à première écoute mais s’avérant finalement tellement hypnotisant qu’il en fait perdre la notion de temps pour envoyer son auditeur flotter très loin : une bande son parfaite pour tirer quelques lattes sur une cigarette de Tristan ou s’envoyer une bonne dose de potion magique parfum pamplemousse. Quant à “Ann”, née des cendres de “Dance Of Romance”, une vieille impro des Psychedelic Stooges rendant hommage à leur triste ville natale, elle me ramène à chaque écoute au “Crystal Ship” des Doors, un de mes premiers émois musicaux : je ne peux qu’en être amoureux…

Très loin d’être parfait (et c’est ce qui fait son charme), l’album contient son lot de fillers. Ne s’étant glorieusement pointé à New York qu’avec sa bite, son couteau, trois titres achevés plus deux vagues bases d’improvisation, Asheton est dès le premier jour de studio sommé par Elektra de présenter plus de matière rapidement. De retour au Chelsea Hotel, Ron et Iggy écrivent donc en quelques heures et sans complexe “Real Cool Time”, “Not Right” et “Little Doll” qui sont enregistrés le lendemain sans répétitions préalables, John Cale pensant travailler sur des titres maitrisés par les Stooges depuis longtemps ! ... Loin d’être désagréables (“Not Right” sonne même comme du pur Ramones, voix y compris, 7 ans avant “Blitzkrieg Bop” !), ces trois morceaux restent quand même clairement en dessous des autres, se contentant de faire le job, surtout “Little Doll” dont la ligne de chant se calque sur “1969”.

Bras d’honneur ultime au mouvement hippie, «The Stooges» se paie le luxe de sortir dix jours avant le festival de Woodstock ! Personne n’est alors en mesure de comprendre ce disque dont la pochette parodie le premier Doors en mode badass.

… « Des gens escaladent l’Everest, est-ce qu’ils sont moins tarés ? D’autres personnes se font envoyer sur la Lune. Pour quoi faire ? J’ai pris des trucs qui vous permettaient de faire ça sans aller nulle part. Oui, des gens sont morts, mais était-ce plus insensé que les aspirations que les êtres humains ordinaires mettent sur un piédestal ?...

… Si tu possèdes une boussole cachée aux regards, et que tout le monde va dans l’autre direction, qui peut te dire que ta voie différente n’est pas la voie la plus saine ? Tout part d’une impression de… Peut-être que le troupeau marche dans la mauvaise direction. » - Richard Lloyd, guitariste de Television.

Peu d’hommes naissent avec cette boussole. Hier méprisés; aujourd’hui adulés et officialisés parrains du Punk et du Metal, les Stooges furent les premiers équipés du GPS Rock’N’Roll… (Avant qu’il ne soit commercialisé et fabriqué en série…)

Gloire à eux.

Gloire à Iggy.
RIP Ron Asheton 1948-2009
RIP Scott Asheton 1949-2014
RIP Dave Alexander 1947-1975


-- Toutes les citations sont extraites de la fabuleuse et indispensable Bible «Please Kill Me» de Legs McNeil et Gillian McCain. --

-- Dédié à celle qui m'a présenté Iggy... Et offert le livre rose... --

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samolice - 26 Janvier 2018:

Il me semblait bien que tu l'avais passé mais je croyais que c'était les Doors. Ou alors c'est qu'on avait mis les Doors juste avant non?

ZazPanzer - 30 Janvier 2018:

Humm... Possible ! Mais qu'est-ce que tu t'étais resservi juste avant ? ...

Cucrapok - 01 Fevrier 2018:

Prochain meeting il va te péter ta belle platine neuve juste pour se convaincre qu'il aime pas ce titre!

melpo - 05 Fevrier 2018:

Merci pour ce texte, j'ai vraiment appris beaucoup de choses. J'ai ouvert cette chronique davantage pour lire le chroniqueur que pour Iggy, je n'ai jamais vraiment accroché à ce gars. Pourtant j'ai eu l'occasion de le voir récemment à la fête de l'Huma et il m'a pas mal impressionné.

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