Dix-huit ans. Voilà dix-huit ans que Sigur Rós inonde le monde de son Post-Rock envoûtant et planant. Ces très longs titres noyés de guitares lancinantes en écho, ces structures musicales étonnamment étirées… Il est impossible de décrire l’art des Islandais, capable de serrer notre cœur d’une manière peu commune, entre joie et tristesse intense, nous emmenant album après album dans les moindres recoins de l’île de glace d’où ils sont originaires. Sigur Rós, en réalité, est le nom de la petite sœur du chanteur du groupe, ainsi que celui de sa grand-mère excentrique.
Nombreux sont ceux qui attendent Sigur Rós au tournant après le surprenant album «
Með Suð í Eyrum Við Spilum Endalaust » (2008), qui avait montré de nouvelles orientations, un peu plus pop, un peu plus festive et surtout avec (pour la première fois de la carrière du groupe) un titre en anglais, placé plus ou moins judicieusement à la fin de l’album. Car de toute sa carrière, jamais Sigur Rós n’avait chanté en anglais. Jón Þór Birgisson, leader charismatique du groupe, a toujours préféré chanter dans sa langue natale, ainsi que dans une autre langue, le
Vonlenska, inventé de toutes pièces par le chanteur.
Le groupe en a parcouru, du chemin. Depuis «
Von » (
1997), le quatuor n’a cessé de progresser, de proposer une musique toujours plus inspirée, toujours plus intense, plus profonde… Le nirvana fut atteint avec les œuvres que sont «
Ágætis Byrjun » (1999), «
() » (2002) et «
Takk... » (2005). Quatre ans (et même plus) que «
Valtari » est torturé dans tous les sens. Un coup de nouvelles compositions, l’autre coup elles se retrouvent détruites, puis refaçonnées, avant d’être de nouveaux abandonnés…
Finalement, c’est peut-être d’air que le groupe avait surtout besoin. De l’air qu’ils ont chacun trouvé aux grès de leurs multiples projets parallèles, comme le duo Jónsi & Alex, que le chanteur de Sigur Rós partage avec grande passion avec son petit ami Alex Somers, musicien américain qui a beaucoup participé à la vie du groupe Islandais, notamment sur la production de «
Valtari » ou encore certaines pochettes du groupe. Autre projet de Jónsi, son album solo, sorti en 2010 et baptisé « Go ». À lui tout seul, le chanteur est un personnage admirable, œuvrant dans de multiples causes en rapport avec l’Islande. Jónsi a également une technique bien particulière, celle de jouer de sa guitare avec un archet (comme l’a fait
Jimmy Page, entre autres) pour apporter à sa musique un son plus atmosphérique. Et enfin, il a dû vivre toute sa vie en étant aveugle de l’œil droit. C’est une admiration sans failles que je porte à cet homme.
L’âme de chacun reposée, Sigur Rós a pu se remettre au travail. Comme d’habitude, le quatuor féminin à cordes Amiina fut convié à l’enregistrement, ce même quatuor qui accompagne bien souvent le groupe lors de ces multiples tournées internationales. C’est d’ailleurs sur cette base principale que se compose «
Valtari ». La batterie sera extrêmement peu utilisée ici. L’atmosphère « légère » de «
Með Suð í Eyrum Við Spilum Endalaust » disparaîtra afin de revenir à un ensemble plus aérien, plus poignant. Il y aura également une plus grande présence d’expérimentations électroniques, le groupe aimant volontiers tester de nouveaux gadgets pour diversifier davantage sa musique.
Décrire «
Valtari » est impossible. Faire une vulgaire description de chaque titre n'aidera aucunement à saisir le véritable message que les Islandais cherchent à faire passer. La musique de Sigur Rós a cette particularité de souffrir de ses points forts. Car là où une personne décèlera un tourbillon d'émotions, il se peut qu'une autre n'y trouve qu'un ennui plat. Car «
Valtari » ne s'écoute pas. Il se vit.
Des chœurs célestes ouvrent avec émotions et légèretés « Ég Anda ». Toute cette première composition est un véritable patchwork émotionnel, démontrant sans grandiloquence toute l'étendue du talent du quatuor. Très vite, la basse très forte et profonde et cette guitare si particulière dans ses sonorités épurées et étirées nous rappelleront à nos vieux souvenirs. La voix de Jónsi, profondément aérienne, lente, délicate et touchante transcende cet ensemble mélancolique avec un talent des plus rares.
L'album se sépare facilement en deux parties. Car s'il est vrai que le groupe a souvent eu tendance à adapter musicalement l'ensemble pour faire ressortir la voix de Jónsi plus belle que jamais, les trois dernières pistes de ce disque sont entièrement instrumentales, relevant ainsi plus d'une vingtaine de minutes d'une magnifique tranquillité sur laquelle nous reviendrons volontairement plus tard.
De nombreux chœurs ressortiront sur chaque titre, apportant des sonorités extrêmement relaxante («
Ekki Múkk ») ou même presque épique («
Varúð ») et totalement mélancolique (« Dauðalogn »). Le piano, en dominance sur tout l'album, rappellera les airs de «
() », entre sonorité désabusée et apaisante. Les cordes du groupe Amiina seront présentes sur l'ensemble de l'album, entrecoupées par moments par la voix de Jónsi. Sur «
Ekki Múkk » (qui fut d'ailleurs le premier titre présenté) par exemple, ou les violons sont mis très en arrière-plan sur les phases vocales de Jónsi avant de prendre ensuite le devant de la scène, avec des accords extrêmement réverbérés et résonnants.
Évidemment, les paroles sont extrêmement difficiles à comprendre, le chant étant soit en Islandais, soit en
Vonlenska (qui est, je le rappelle, une langue inventée par Jónsi). Alors, on se contentera de traduire autant que l'on peut les titres de l'album. «
Varúð » signifie « avertissement », que l'on peut comprendre d'un certain point de vue dans la montée palpable de la tension au fil de ce titre, le chant de Jónsi, de plus en plus présent et mélancolique, vite rattrapé par la domination qu'exercera par la suite le mélange entre percussion et mélodie intense sur les cordes d'Amiina et le piano toujours agrémentés des chœurs célestes... Pression davantage accrue sur « Rembihnútur », qui offre un panel d'émotions d'une tristesse sans pareil, surtout au niveau de la batterie, discrète, mais efficace.
C’est donc essentiellement musicalement que le quatuor semble vouloir s’imposer. En témoignent les trois titres que sont « Varðeldur », «
Valtari » et « Fjögur Píanó ». Chaque piste permettra à un groupe d’instruments de briller. Le piano se permettra ainsi de dominer « Fjögur Píanó » et d’y apposer une mélancolie incroyable, à vous vider les yeux de la moindre goutte de larmes que l’album n’aurait pas pris le temps de vider… Larme qui ne pourra s’empêcher de couler face au duo incroyable entre les cordes et le piano sur « Varðeldur », totalement indescriptible.
«
Valtari » se vit. Ce n’est pas une musique, c’est un voyage. Un voyage sur les terres à la fois glacées et chaleureuses de l’Islande, une musique à écouter avec le bruit des vagues s’écrasant sur les plages de sable noir. Sigur Rós n’a aucun équivalent, aucune musique capable de nous faire vivre tant d’expérience personnelle. Une musique, que dis-je, un art incroyable capable de bouleverser le cœur de chaque personne, autant qu’elle a de capacité d’ennuyer profondément un autre auditeur…
Mais pour moi, «
Valtari » est ce qui se rapproche le plus de la perfection en matière de musique atmosphérique. Un disque qui apporte réconfort, rêve et calme. Un véritable plaisir d’une heure, entre minimalisme pénétrant et musicalité apaisante.
Prenez le temps de rêver …
Par contre, je n'arrive absolument pas à relier le clip à leur musique, preuve qu'elle est vraiment personnel.
Merci pour ta chronique!
Cet oeuvre est tout simplement une oeuvre magistrale.
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