La Berliner Fernsehturm diluée dans la brume… jour et nuit confondus, les vivants et les morts, la géométrie des rues… gris nébuleux. Fulgurance d’une couleur… une voiture peut-être… Des éclats de voix, l’empreinte de mouvements épars… Et toujours une éternité s’élève des pierres brisées de la Kaiser-Wilhelm-Gedächtniskirche…
Dans un élégant dégradé de noirs et de gris, le second album, «
Where the Wild Oceans End », d’Andrea Schroeder dépeint l’âme berlinoise. Un
Berlin poétique et vintage où l’on distingue encore les silhouettes de Nick Cave,
Crime And The City Solution,
David Bowie, Wim Wenders, Marlene Dietrich, mais aussi l’empreinte vivace du «
Berlin » imaginaire et torturé de
Lou Reed. En l’espace de deux albums, la chanteuse aura su s’affirmer comme étant l’une des plus belles et captivantes voix actuelles. Si son premier album, «
Blackbird », fut plutôt bien accueilli, son audience resta quelque peu confidentielle. En revanche, avec les compositions de ce second disque, on découvre une artiste ayant gagné en assurance et en charisme, prête à investir la scène internationale.
Enregistré en Norvège, au studio
Ocean Sound Recordings, et au Studio Hansa, célèbre studio berlinois qui a notamment accueilli
David Bowie,
Iggy Pop,
Nina Hagen,
Nick Cave And The Bad Seeds… et confié aux talents de producteur de
Chris Eckman (
The Walkabouts,
Dirtmusic…), «
Where the Wild Oceans End » est paru sur le label allemand Glitterhouse, maison abritant entre autres
Wovenhand,
Midnight Choir,
The Walkabouts, Willard Grant Conspiracy… on ne sera donc pas vraiment surpris de trouver sur ces dix titres de fortes accointances avec l’americana et le rock alternatif.
Néanmoins, et c’est là une des particularités de cette artiste berlinoise, les compositions ne sont pas envisagées comme des titres rock, mais comme des chansons. A travers le timbre grave, profond, un peu cassé de la chanteuse, on retrouve quelque part l’intensité émouvante d’une Barbara et la pop suave de Marianne Faithfull… Ce tiraillement entre une attitude assez typée « chanson noire des 60’s » et un son rock moderne offre un contraste et une tension propices à la poésie minimaliste, expressionniste d’Andrea Schroeder. Entre les mots, c’est tout un monde hors champs qui s’agite. Comment ne pas entendre sur « Dead
Man’s Eyes » ou « Ghosts of
Berlin » le passé et le présent d’une métropole chargée d’Histoire ?
Autre particularité ici, tous les titres sont écrits en anglais à l’exception de « Ghosts of
Berlin » - sur lequel se mêlent de manière suggestive anglais et allemand - et «
Helden », reprise de « Heroes » de
David Bowie (période berlinoise), intégralement chanté en allemand. Cette réappropriation germanique, particulièrement réussie, n’est certainement pas anodine et concourt à donner à l’album cette âme berlinoise évoquée plus haut.
Contrairement à la mode de l’écoute aléatoire et à la culture du self-service auxquelles le téléchargement et autre streaming veulent nous habituer, dans «
Where the Wild Oceans End » il y a un début et une fin. Une constatation, et ce n’est sûrement pas une coïncidence, qui rejoint le point de vue de
Lou Reed lorsqu’il parlait de son opéra-rock «
Berlin » : « J'ai toujours pensé qu'il fallait considérer un disque comme un roman ou un film : une oeuvre cohérente, faite pour être écoutée dans un ordre précis »*. Comme son titre le suggère, l’album connaîtra des flux et des reflux, la légèreté pop se heurtera aux aspérités électriques, glissera sur des rythmiques pesantes pour venir mourir dans les rêveries de l’auditeur. Avec intelligence et sensibilité, des instants calmes et mélancoliques, arrangés avec beaucoup de soins, par exemple « Walk into the Silence » ou le titre éponyme - dont la première partie peut rappeler le travail de la formation, affiliée au Denver Sound, Tarantella -, alternent avec des passages lourds et saturés. A ce titre, « The Spider » et sa folie sous-entendue en constitue le paroxysme ; pouvant judicieusement être défini, par la même occasion, comme le centre de gravité de l’album. Si on ajoute à cela un violon et un harmonium retenus mais expressifs (« Until the End », « Summer Came to Say Goodbye »), colorant avec justesse les titres d’un je-ne-sais-quoi de new-wave, on obtient un album fascinant de bout en bout.
Avec ce second disque aux influences assumées, Andrea Schroeder présente une oeuvre aboutie, conjuguant élégamment une pop douce-amère avec un rock nocturne au son propre et puissant (une fois encore il faut saluer l’excellent travail de Chis Eckman). Sans aucun doute, «
Where the Wild Oceans End » permettra à l’artiste berlinoise d’accéder à une plus large reconnaissance. Un univers singulier, vulnérable et mélancolique, dont la seule limite est notre propre imagination...
*Entretien avec
Lou Reed, L’Express, 27/03/2008
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