A Saucerful of Secrets

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17/20
Nom du groupe Pink Floyd
Nom de l'album A Saucerful of Secrets
Type Album
Date de parution 29 Juin 1968
Style MusicalRock Progressif
Membres possèdant cet album179

Tracklist

1. Let There Be More Light 05:38
2. Remember a Day 04:33
3. Set the Controls for the Heart of the Sun 05:28
4. Corporal Clegg 04:13
5. A Saucerful of Secrets 11:52
6. See-Saw 04:36
7. Jugband Blues 03:00
Total playing time 39:25

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Pink Floyd


Chronique @ Vinterdrom

22 Novembre 2010
En ce monde foisonnant de senteurs douceâtres et délicieusement sucrées, cavalcadant jusqu'à mes naseaux, éperonnant mon odorat … En cet univers scintillant d'éclats de rire innocents, carillonnant à mon ouïe comme autant d'astres pétillant à mes yeux de leur éclat flamboyant … En ce temple sacré où seule la félicité des sens a droit de célébration, où n'importe lequel des rêves les plus fous peut se matérialiser en un claquement de doigt, je me sens vivant …
Loin de mon quotidien morne et bassement matériel … A des années-lumière de ses assujettissements futiles qui m'étouffent chaque jour un petit peu plus … Blotti en ce paradis forain, en ce microcosme de joie où l'enfant est roi et l'enfance est reine, je rêve et suis heureux de rêver. Car perdre son âme de môme et ne plus rêver du tout, c'est mourir beaucoup …
Au milieu des rengaines enivrantes des limonaires et de la valse endiablée des petits pantins dansant en cadence … Oui, je me sens vivre …
Entouré de la foule des chérubins se régalant de confiseries aux mille et une saveurs, attendant fébrilement leur tour devant le labyrinthe des miroirs et le carrousel des étoiles … Oui, je suis vivant …

… Transporté par ces réconfortantes pensées
Je ne m'aperçu point du chemin sur lequel mes hasardeux pas m'ont guidé
L'ouate de mes cotonneuses errances oniriques à présent dissipée
J'émerge là où ils m'ont subconsciemment mené …

Là … aux Portes de l'Aube, puis-je lire encore un brin déboussolé sur la devanture de la roulotte se dressant à quelques pas de moi. Sur les marches, un homme à la chevelure hirsute et portant une redingote à la brillance du diamant se lève tout en dégainant prestement un pipeau qu'il porte à ses lèvres. La mélodie à laquelle il donne vie finit de m'entraîner hors de ma rêverie et m'approchant, comme attiré par ces joyeuses notes se glissant jusqu'à mes oreilles, je distingue à présent ses traits éreintés et son regard énigmatique. Une insondable fixité autant insistante que perdue, comme traversant, regardant au-delà de moi pour se plonger dans un ailleurs, soutenue de cernes aussi sombres que peuvent l'être certains recoins de l'âme.
La mélodie s'évanouit et l'homme esquisse un léger sourire, déployant sa main pour m'inviter à franchir les Portes de l'Aube … M’avançant, j’en observe les vantaux contant l’histoire des gentils Rat, Taupe et Blaireau embrigadés dans les mésaventures de leur ami Crapaud. Quelle sacrée fripouille celui-là, et c’est fort amusé par ces fresques rocambolesques que j’en pousse les battants …
… S’ouvre alors un florilège de couleurs vives, piquantes et une montagne de géométries exubérantes, improbables … Ouah, des jeux partout, c’est incroyable ! Je sens mes yeux s’écarquiller et ma margoulette s’allonger devant cet extraordinaire coffret taille macrocosmique, m’éclaboussant du jaillissement d’une fontaine de jouvence. Plateaux, globes, colonnes, ballons … je m’élance, plein d’enthousiasme, et tape dans le premier venu comme je le fais dans la sphère noire et blanche avec mes copains de classe sur le grand rectangle vert. Le sablier se retourne et s’écoule, la balle devient cube et les pentagones deviennent cercles. Le dé est jeté et … Oh ! Les gigantesques chevaux s’élancent de case en case en hennissant. C’est fantastique et je ris. Il me suffit de tendre la main pour attraper les anneaux célestes et d’un simple geste les envoyer vers l’astre parent. Jupiter, Saturne, Oberon, Miranda, Titania, Neptune, Titan … Je domine l’astronomie, c’est moi qui fais la pluie et le beau temps en notre sublime Voie Lactée, c’est mon univers, je le façonne, je le modèle. A peine le temps de redescendre sur Terre qu’il faut partir à la recherche de Lucifer Sam, l’espiègle matou de la mère à Matilda. Vite vite, où s’est-il encore caché ce garnement ? … Ces pupilles flamboyantes … Oui, le voilà, dans le toboggan qu’il a pris pour la gouttière. « Pow R Toc H », me miaule-t-il à l’aide. Le pauvre, il est blessé. Pin pon pin pon, c’est moi le docteur et je vais le soigner. Pin pon pin pon, je prends mon stéthoscope et je cours, évitant au passage la démultiplication interstellaire provoqué par mes tribulations spatiales, esquivant les crocs-en-jambe d’un bien malicieux gnome courant d’un côté et de l’autre. Vite vite, comment dois-je faire pour soigner le petit félin ? Hop, Chapitre 24 du manuel médical que j’extirpe de ma blouse. J’ouvre et zoupla surgit des pages tel un épouvantail un lapin blanc dégainant sa montre hurlante. Driiiiing driiiiing, j’ai plus beaucoup de temps. Vite vite, remettre le matou sur pattes. Le revoilà bondissant pour quatre-cents nouveaux coups. Vite vite, il me faut enfourcher la bicyclette et cavaler vers l’entrée où m’attends l’étrange forain. A peine franchie la ligne d’arrivée que le sablier est écoulé et je pousse un grand hourra après avoir couronné toutes les épreuves de succès.
C’est encore un peu essoufflé mais bougrement émerveillé que je m’empare du grand objet quadrilatéral que l’homme me tend. Est-ce là le prix que j’ai gagné de ma sueur, questionnent en silence mes traits ahuris. Il acquiesce d’un léger hochement de tête, le regard vaguant en d’insoupçonnées dimensions, avant de discrètement s’éclipser comme une entité spectrale, me laissant à l’examen de l’offrande.
Livre, tableau ? … Quel est donc cet étrange carré qu’en mes mains je tiens ? … Oh, c’est un disque ! … « Une Soucoupe de Secrets » … J’effleure l’image cartonnée, incitant mes doigts et mon esprit à voyager de contrées terrestres en profondeurs cosmiques, à travers les temps et les civilisations, les plaines et les cieux, les monuments et les planètes. Ô qu’il serait bon de se noyer en ce pur délire pictural, envoûté par les verdures champêtres et les noirceurs abyssales qu’il juxtapose et solidarise, invité par ce mystérieux quatuor profilé comme en ombres chinoises dans le médaillon excentré flottant sur un océan excentrique.
J’en sors précautionneusement le trophée circulaire, le place révérencieusement sur le gramophone dont la bouche grande ouverte m’appelle au milieu du capharnaüm et attends impatiemment qu’elle daigne me dévoiler les trésors que renferment les sillons. Stylet délicatement posé comme un baiser de prince, glissant sur la spirale telle la main sur le visage de la princesse, épousant ses formes, les premières notes résonnent en une cascade que je bois à m’en rendre ivre.

Un groove de basse occulte … l’environnement pastel de la roulotte s’estompe, l’obscurité tombe pour célébrer la communion entre l’œuvre et ma personne. S’adjoignent après quelques secondes de fabuleuses arabesques claviéristiques me charmant tel le serpent. Leurs longs méandres harmoniques me cernent, m’enserrent, je dévore la pomme et la magie opère … Dans ce sombre jardin d’Eden, des milliers de feu follets transpercent les ténèbres de leur éclat surnaturel, se déposant, s’agglomérant tels des flocons pour former un sentier, me révélant le chemin à suivre vers la porte menant à la Soucoupe des Secrets …

… Que la lumière soit ! …

… Et qu’elle me conduise vers le monument qui m’attends au-delà et dont les Portes de l’Aube sont le porche sur lequel veille le joueur de pipeau. J’avance d’un pas mu par autant de crainte de l'inconnu que d'irrésistible curiosité de la découverte. L’aube de la création du Grand Œuvre se cacherait-elle derrière cette nouvelle porte que je m’apprête à franchir ? …
Flash et roulement de cymbales … Je m’approche d’une scène, dépouillée. Ce pourrait être celle d’un saloon, mais point ici de cow-boys, de desperados, d’éclats de voix, de murmures, de cartes glissant sur le tapis vert ni de détonations de Colt Paterson … juste une ritournelle enfantine dans un environnement qui n’est que noir profond et dont je ne peux mesurer l’infini. Sur scène, le quatuor que j’aperçus quelques instants auparavant dans le médaillon. L’invitation de naguère prend la forme d’un spectacle dont je suis le seul et unique spectateur privilégié. Juste le groupe et moi, rien d’autre autour que le vide. Mon regard se dirige vers l’auteur du leitmotiv, celui qu’on croirait homme des cavernes, avec sa longue chevelure drue et sa barbe fournie mangeant littéralement son visage, tel le célèbre capitaine dont les aventures ont bercé mon enfance. Allure rugueuse mais doigté que je devine leste et délicat sur les touches de l’orgue qui le dissimule presque complètement. Je le devine par l’habileté de son harmonie agréablement sautillante, rehaussé par la douceur de son timbre de voix qui l’accompagne, chaque vers ponctué d’une répétition dynamique. Je m’assieds en tailleur, dodeline de la tête, frappe mes mains et mes cuisses en cadence comme Madame Favre nous appris à le faire en cours de musique sur la comptine de Marie-Madeleine. Un bond d’athlète dans le passé, je me croirais aller à la fontaine et ramasser de l’eau dans mon petit seau ! Tout à coup, c’est non pas le seau qui tombe ni l’eau qui se renverse mais le refrain qui éclate, le blondin à la six-cordes et à la bobèche un brin canaille prenant le micro pour chanter à tue-tête. Je bondis comme un ressort et jodle avec lui. Nouveau couplet / refrain et c’est reparti pour un tour, encore et encore … jusqu’à ce que déferle un solo délicieusement acide et admirablement distordu, ses échos affluant sur tous mes sens … Je sens perdre mes repères spatio-temporels … J’en oublie l’existence physique des musiciens … Ce ne sont plus des lignes de quatre-cordes que joue ce grand dégingandé au long visage taillé à la serpe, mais des rushes d’adrénaline, courant dans mon système nerveux … Ce ne sont plus des percussions qu’actionne le déchaîné moustachu derrière ses fûts, mais des contacts synaptiques dans mon encéphale sous l’emprise d’une décharge voltaïque à m’en retrouver dans un état tertiaire. Ces hommes-là ne sont pas que de simples musiciens. Que dis-je des hommes d’ailleurs ? Impossible, me voilà bien en présence d’extra-terrestres venant d’une autre galaxie, voyageant dans leur soucoupe de technologie d’outre-espace, me délivrant les secrets d’un art qui n’a rien de nûment terrestre. Comment serait-il humainement possible de faire aussi soudainement perdre pied avec la réalité ? A n’en plus savoir où je suis, ni pourquoi ni comment ? … Cet art n’est pas seulement du rock, n’est pas seulement construit sur des rythmes et des accords. C’est tout un monde, un univers qu’ils créent. Chaque instrument, chaque phalange les maniant sont autant de scénaristes écrivant les images psychédéliques défilant en ma tête, mouvantes, réelles, palpables … Je dérive … Le solo et son habillage s’éloignent … Ou est-ce moi qui m’éloigne d’eux … Je ne sais pas, je ne sais plus … Je dérive …

… Et me souvient d’un jour …

… D’un jour où, gamin, nous allions promener en famille … Au plus loin que ma mémoire me porte … A la maison, tandis que Maman prépare les provisions, Papa, ce mélomane patenté, laisse courir ses doigts sur les touches du piano et je suis fasciné par l’air vif et bucolique que l’imposant instrument diffuse. C’est comme si je pouvais déjà entendre le pépiement des oisillons, sentir les fleurs des champs, … Je suis si impatient … Nous voilà en route dans la campagne, marchant gaiement, en mesure avec les impulsions que donne Papa à l’aide du petit tambour qu’il porte en bandoulière, avalant les sentiers, dévalant les collines, pataugeant dans les ruisseaux, … Je me sens gagné par une joie synonyme d’éternité, je souhaite ardemment que jamais ces moments ne prennent fin. Lorsque nous nous arrêtons pour casser la croûte sous le grand pommier, Papa empoigne sa guitare sèche, égrène des accords pastoraux et chantonne magnifiquement, tandis que Maman me tient tendrement dans ses bras. Je veux leur offrir quelque chose … Les fruits du grand arbre ont l’air si délicieux et je grimpe, je sais que je peux les attraper … Maman me recommande de faire attention mais je sais que je ne risque rien. Que peut-il m’arriver dans ce cadre si parfait, si dénué de tout sentiment de danger ? … Je grimpe et cueille, grimpe et cueille encore … Sur la plus haute branche, mon regard se pose des années-lumière tout en bas. Je surplombe les forêts et vallées que mon champ de vision englobe. Seul le soleil me nargue de sa démesurée hauteur, mais je sais que je peux l'attraper. Je prends mon élan, imprime l’impulsion … et vole … Mon corps plane dans la troposphère tel un aéronef …

… Je mets le cap vers le cœur du soleil …

… Vers ce cœur où bouillonnent des éons de vie. L’éternité à ma modeste échelle humaine. J'ai soif de m'en abreuver, j'ai faim de m'en nourrir, pour que ces instants de félicité ne meurent jamais. Direction l’horizon, pour rattraper l'astre fuyant et percer ses sibyllins secrets … Je surplombe mers et montagnes, parfois rejoint par la piaulante faune aérienne, voguant sur les courants atmosphériques me chantant d’envoûtantes mélopées … Cap sur le cœur du soleil … J’imagine le rituel à l’œuvre, dans ce temple du processus de fusion, assorti des résonances transcendantes du petit tambour de Papa que j'entends du lointain. Ou est-ce son souvenir qui résonne à l’intérieur de ma tête, s’amplifiant jusqu’à une intensité surnaturelle, tribale ? Ou serait-ce mon cœur qui bat la chamade ? … S’emballant tandis que je vois l’hélianthe cosmique lentement mais sûrement se rapprocher de l’heure fatidique à laquelle rougeoie la corolle avant de disparaître. J’accélère mon allure, ma course effrénée face au temps qui passe. Mais l’ouvrage de Clotho est-il si implacable dans son déroulement pour que ce diable de temps soit à ce point irrattrapable. Le fil défile à vive allure … et finit par me filer entre les doigts … comme m’échappe l’astre-proie. L’éternité est-elle à ce point inaccessible, ses mystères si difficiles à percer ? …
Fin de l’odyssée troposphérique. Occupé par mes réflexions métaphysiques à en faire perdre le Nord à ma boussole psychique, c’est à peine si j’eus le temps de me demander où j’ai atterri que l’on s’exclame tout à coup derrière moi …

… « Caporal Clegg ! » …

Demi-tour, droite ! Pieds joints, menton haussé, main droite à hauteur de la tempe, tendue comme une crampe, posture raide comme la justice, me voilà aussitôt au garde à vous face à un grand individu en uniforme de parade semblant tout droit sorti d’une époque révolue. En avant marche ! A vos ordres, caporal ! Une, deux, une deux ! J’emboîte le pas au grand échalas à la patte de bois qu’il traîne comme tous les malheurs de la guerre, bientôt rejoint par une cohorte de joyeux troufions et leur tintamarre assourdissant. Rick et son chant aussi nasillard que rigolo, Nick et ses percussions engagées, David et son kazoo hardi, triomphant … Section Pink Floyd, halte ! Portez, armes ! Présentez, armes ! Reposez, armes ! Rompez ! … Ai-je bien compris les instructions ? « Roger ! ».
Baïonnettes fièrement pointées, pas martial, trompettes bombardant des pluies de notes, les courageux petits soldats s’en vont en guerre et la pauvre Madame Clegg n’a plus que la bouteille de gin pour se consoler. Et on s’en fiche de cette pauvre greluche, tout heureux que nous sommes à faire un barouf de tous les diables. Mais l’allégresse ne sera qu’éphémère … car survient …

… Quelque chose d’autre …

… Quelque chose de terrible … de redoutable … tapi dans l’ombre … menaçant … prêt à surgir …
Nos sens aux aguets captent l’indicible épouvante qui plane. La liesse se volatilise pour ne laisser qu’une terreur carcinogène. L’ennemi est là et il est terriblement dangereux. Les ténèbres fondent, dégoulinent, s'épaississent. J’en peine même à distinguer le sol et mes camarades. Un sol que je devine heurté et aride, craquant sous mes pas. Des camarades que je sens affolés, désorientés. Quelles sont donc ces vibrations malsaines emplissant l’air devenu mélasse morbide, palpitant d’un profond malaise. Le danger est imminent et nul ne peut y échapper. C’est inéluctable.
Je suis comme paralysé, asphyxié. L’angoisse m’oppresse. Je n’ai plus la force de crier SOS. Mes jambes flageolent et je m’écroule. Adieu courage.
En posant mes mains au sol, c’est l’horreur qui se manifeste brusquement à moi. Les contours que je palpe de mes doigts dessinent des images atroces en mon esprit … Non, ce ne peut être ça … Je plaque mon visage … L’insoutenable apparaît … Et je me perds tout entier dans des orbites vides … Des crânes … Des milliers de crânes ouvrant leurs mâchoires pour me dévorer, criant à m’en faire exploser la tête. Les cris des âmes des défunts, ceux qui ont péri dans d’atroces souffrances sous les balles et les obus. Mutilés, massacrés, déchiquetés, pulvérisés. Ces abominables stridences réveillent mes peurs les plus enfouies, les avivant jusqu’au paroxysme de l’effroi. Je vois leurs fantômes s’élever en fumerolles sinistres, déchirant le voile opaque, hurlant d’une atroce cacophonie …

… Puis s’ouvre le pandémonium …

… Ciel et terre rougeoient d’un vermillon belliqueux. Une marche guerrière retentit … Syncopée, folle, terriblement implacable … L’assaut désaccordé est lancé et l’adrénaline se libère en mon corps, me délivrant enfin de l’engourdissement. Je cours, je fuis, mais que puis-je faire face à l’indescriptible chaos qui s’abat sur moi. La violence est à son comble, les détonations éclatent de tous côtés, les projectiles fusent à tous sens, la mort est partout, l’ennemi est partout … et nulle part, je ne le vois pas et pourtant je sais qu’il va finir par m’avoir, par sa stratégie aussi désaccordée qu'un piano free canardant de dissonances. Je détale avec l’énergie du désespoir pour seule alliée … Jusqu’à hurler de douleur lorsque je tombe face au carnage. Mes camarades réduits en monceaux de chair sanguinolente. Ce gentil caporal et sa troupe, toute bidoche à l’air, sauvagement trucidés. Ce déchaînement de cruauté me vide de mes forces et je finis par crever sous les balles, transpercé de toutes parts. L’agonie est interminable. Ma vie s’échappe, se répand. J’entends mon sang bouillonnant arroser la terre …

… Mes signaux s’éteignent et l’orage passe …

… J’ouvre les yeux sur un ciel baigné d’une lumière surnaturelle … et si apaisante. Je me sens bercé par cet orgue emplissant l’espace autour de moi. Je me sens léger, je me sens flotter. Pivotant sur moi-même, je me vois comme dans un miroir. Ma dépouille entre quatre planches … Deux entités s’éloignant tandis que je m’élève et qu’elle s’enfonce dans le rectangle de terre béant. Autour, le sol aride est devenu plaine fleurie. L’offrande de milliers de chrysanthèmes pour mes funérailles.
Mes proches se rassemblent, pleurant ma perte. Papa ne porte pas son petit tambour car aujourd’hui n’est pas jour de joie mais jour de deuil. Toutes les larmes de mon corps devraient s’écouler mais je ne ressens que sérénité, je n’entends plus que ces doux chœurs célestes chantant l’éternité. Parents et amis, ne soyez pas tristes, ne sanglotez plus. J’existe toujours, quelque part. La chenille n’est plus, le papillon a quitté la chrysalide.
L’appel des voix s’intensifie tandis que l’ascension se poursuit. La mort n’est pas la fin, l’ailleurs n’est pas le néant … Tels sont les secrets qu’elles me révèlent alors que je m’élève tel une soucoupe à destination de l’au-delà ... d’une autre vie qui s’ouvre à moi …

… Une vie sans nulle place pour les tourments et les soucis, dans un pays où jamais il ne fait nuit, où les nuages sont la terre et les cieux d’une limpidité immaculée.
Rien ne sert de courir après l’Eternité. C’est Elle qui nous attend, Elle qui décide du rendez-vous … Là, au bout du chemin. Et c’est avec Elle que je joue à la balançoire, retrouvant ma joie de gosse, ma plénitude, ma béatitude. Face à face. Je monte, Elle descend. Elle monte, je descends. Cycle enivrant. Tout du long, je Lui souris. Tout du long, Elle me sourit.
Les petits anges valsent en cercles autour de nous, poussant leurs divins chœurs enchanteurs, nous berçant de déliés de cordes harmonieuses, nous ravissant au détour de chaque mouvement de ravissants petits entrechats sautillants.
Parents, amis, vous me manquerez beaucoup, vous me manquez déjà. Mais je sais aussi que nous nous retrouverons ici même, un de ces jours, j’en suis certain. Là, en ce paradis où le temps ne manque pas, j’ai toute l’éternité devant moi … et nous l’aurons ensemble lorsque nous y coulerons des jours heureux, lorsque nous revivrons nos ballades à la campagne et toutes les fabuleuses tranches de vie que nous avons partagés et pleinement croqués de l’autre côté.
Et déjà l’heure est venue pour Elle d’accueillir un nouvel arrivant. Elle s’éclipse, me glissant au passage un léger adieu. La voilà partie, mais je suis radieux. Elle m’a apposé son inaltérable sortilège … à jamais …

… A présent, c'est à moi de tracer mon propre chemin … Mais … quel est donc cet homme à l'allure de vagabond qui je vois venir à ma rencontre … Mais … quel est donc cet étrange traîne-misère s'approchant de moi, chantant des paroles nourries de rancœur, jouant sur sa guitare sèche une partition de fausse joie, une partition désabusée … Ne serait-ce pas … Mais oui … cette coiffure aux pieds de réveil … Mais oui … ce regard à la fois vague et pénétrant … Mais oui … je le reconnais ! Le forain ! Le joueur de Pipeau aux Portes de l'Aube !
Comme un paria échappé du paradis des artistes maudits, le voilà pieds nus, ayant troqué la redingote scintillante contre les haillons, l'instrument à vent contre celui à cordes. Il a du en subir des déboires dans son existence pour en traîner un goût aussi amer dans l'au-delà. Mais son talent demeure étincelant comme le diamant, ici comme en bas. Lui, le diamant fou. Lui, l'architecte fantôme de la Soucoupe des Secrets au firmament de laquelle nous sommes. Lui, l'esprit subtilement inspirateur. Je m’en rends compte à présent. Il en a donné la clé, il conclut le voyage.
Une fanfare désorganisée l'accompagne tandis qu'il tire sa révérence.
Son testament … Le blues de la fanfare …
Les airs se déforment, les instruments se mélangent partent en vrille, fluctuent, déraillent …

… Silence …

… J'ouvre les yeux …

… Les derniers effets de la transe se dissipent alors que j'entends les ultimes et tristes paroles de Syd Barrett se diffuser dans la pièce … Dans mon foyer, mon confortable chez-moi … Le cercle de vinyle suspend son infatigable giration … Pink Floyd … "A Saucerful of Secrets" … et toujours la même force évocatrice depuis une vingtaine d'années. Rarement une œuvre musicale n’aura fait naître en mon imagination de fantasmagorie paraissant aussi réelle, d’improbables chimères aussi palpables. Rarement musique ne m’aura autant marqué. Un pur rêve éveillé d’une richesse atmosphérique et d’une puissance émotionnelle peu communes, à la magie omniprésente, basculant sans crier gare du glauque à l’idyllique, de profonds et noirs abysses aux lumières célestes, de la joie la plus exaltée à l’épouvante la plus suffocante. Le dantesque morceau éponyme en est, à ce titre, le plus représentatif.
Une fresque claire-obscure telle qu'on en retrouvera ensuite chez des créateurs tels que King Crimson, autres éminents conteurs par le medium de l'art musical. Une histoire où tout peut survenir à n’importe quel instant, voilà ce que cette soucoupe remplie de secrets me raconte depuis ma tendre enfance.
Invoqué en l’an 1968, ce chef d’œuvre intemporel est encore nourri des délires de grand enfant et de la touchante naïveté que Barrett avait développés sur "The Piper at the Gates of Dawn" de l'année précédente. On sent que cet esprit imprègne fortement des compositions telles que "Remember a Day", "Corporal Clegg" et "See-Saw", même si elles sont chacune le fruit de l’imagination d’un autre. En même temps, un feeling nettement plus obscur l’habite, juxtaposé, à l’affut, prêt à recouvrir le paysage de son voile de ténèbres, avec ces fameuses tessitures incroyablement morbides créées par l’effacé et mésestimé Richard Wright qui trouve là encore suffisamment de place pour exprimer son talent (victime de la mégalomanie de Waters, il en aura de moins en moins l’occasion par la suite). "Set the Controls for the Heart of the Sun", enfanté par Waters, n'est pas en reste non plus, avec son feeling occulte mais dans une direction plus planante.

"A Saucerful of Secrets" ou un album charnière dans l’histoire de la formation rock prog / psyché britannique. Syd Barrett est poussé vers la porte, David Gilmour est appelé en remplacement … Syd Barrett est contraint de lâcher son emprise sur le travail de composition, la paire Roger Waters / Richard Wright prend le pouvoir … La fin d’une ère, le début d’une nouvelle … La mort, la vie … La renaissance du groupe sous une nouvelle forme artistique.
Une œuvre au parfum d'éternel, dont je me délecterai jusqu'à ma mort … et qui sait, au-delà peut-être, de l’autre côté …
Car l’éternité est partout, en chacun de nous. Elle est là, dans la nature toutes les quatre saisons renouvelée, en moi-même qui porte le sang de mon père … ce père qui m’a transmis son amour de la Musique avec un grand M, en même temps que cette fabuleuse Soucoupe des Secrets. Elle est là, dans les sillons de cette énorme galette plastique, … Elle est là, dans les veines de ma descendance, à qui j’espère un jour transmettre ce même amour de la Musique, des Floyd et de cette œuvre.
L’éternité nous tend la main. Nul besoin d’aller décrocher la Lune ni d’atteindre le cœur du Soleil pour la saisir …

7 Commentaires

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tango666 - 27 Novembre 2010: Voilà une chronique digne du grand Pink Floyd.
ArchEvil - 27 Novembre 2010: A saucerful of secrets, c'est... bah c'est le meilleur des floyd. Un esprit proche de Piper pourtant mille fois plus organisé, plus varié, et dont la clef de voûte ( Richard Wright ) nous a offert une prestation à l'époque totalement novatrice et transformant ce disque en véritable rêve glauque aux contours flous ( le morceau éponyme, psyché de a à z est la plus grande pièce de ce genre que pink floyd n'ait jamais composé, tout ça sous la férule de ce génie qui sera plus tard écrasé par le duo Waters-Gilmour ). Barrett n'a participé vraiment que sur un titre ( sur lequel il expose son amertume envers la dictature naissante de Waters ), pourtant son esprit plane toujours dans l'ensemble, surtout sur Corporal Clegg par exemple.

Merci pour ta très longue chronique vinter, que j'ai pourtant lue jusqu'au bout et qui rends un hommage digne à ce chef d'oeuvre intemporel, la consécration du psyché british et du pop rock embryonnaire, un plat aux milles saveurs créé en toute simplicité.
calli - 19 Janvier 2012: C est la deuxieme chroniques de ta part que je lis apres"atom heart mother"et c est toujours le meme bonheur que de renter dans ton imaginaire fertile.Moi qui comptais me lancer dans l exercice,adieu.Merveilleux.Tout simplement merci.
polomusic42 - 04 Janvier 2013: Enfin un endroit sur internet où on parle de musique sans se cracher à la gueule ! Merci Vinterdrom pour cette critique (mais peut-on réellement appeler ça une critique tellement c'est au dessus de ce qu'on lis dans les journaux?) Vive les floyds et vive le rock !



Bravo et merci !
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