Il y a plus de 40ans, beaucoup imaginaient les années 2000 comme les années futurs, celle d’un environnement paradisiaque et idyllique, où personne n’aurait à souffrir, où la technique serait asservie à l’être humain et parviendrait à combler tous ses besoins. La vision ne s’est qu’en partie concrétisée. Il est vrai que la technologie a énormément contribué à son évolution, et même à sa survie. Mais une telle affirmation reste cependant à relativiser. Comme cela avait été d’ailleurs exposé, il y a bien longtemps dans des films magistraux comme « Metropolis » ou Les « Temps Modernes », l’homme est parfois un rouage de sa propre machine. L’homme se nourrit de la machine, et la machine se nourrit de l’homme.
Pourquoi nous parler de ça? Quel rapport avec les polonais de «
Riverside »? Tout simplement parce que c’est le thème qu’a voulu proposer Mariusz Duda dans son quatrième opus, sorti en 2009. Deux ans après «
Rapid Eye Movement », ayant abordé un rock progressif tempéré, qui a reçu un accueil des plus mitigés, «
Riverside » a décidé de frapper fort cette fois, et se met directement à la haute définition, en reconstituant musicalement l’univers obsédant du temps présent, celui des années 2000, celui des hautes technologies, du temps sans barrière, d’un monde pressé arrivé à saturation. Celui d’une humanité en train de se perdre au milieu de ses créations, offerte en proie à ses créatures.
Le 1er titre entrant en scène, au nom singulier, « Hyperactive », aurait pu faire mentir au départ. On se sentirait pratiquement dorloté grâce à une entrée au piano mélodieuse, avant que celle-ci ne soit entièrement happée par une atmosphère plus contemporaine, hyper stressante, créée par des sons mécaniques et électroniques. L’hypertension primera donc à chaque instant sur le semblant de douceur que l’on croyait saisir au début ou que l’on entrapercevra toutefois assez fréquemment à travers les pistes. Le plus souvent ce sera par touches de claviers, qui s’illustreront avec grâce et légèreté. Mais l’instrument a aussi une double fonction.
Un sentiment de stress permanant, génialement reproduit, sera encore de l‘élaboration des claviers, marquants une présence ultra dominante sur l’album. Des sons synthétiques qui pourront sembler par endroits anciens ou modernes. Michal Lapaj utilisera aussi bien le synthétiseur, l’orgue Hammond, mais aussi le theremine (instrument beaucoup moins familier) sur le titre « Egoist Hedonist », composé en 3 sous-parties.
Les guitares ne sont pas en reste, même si elles sont remises au second plan, noyées sous les nappes de claviers, elles apporteront par endroits une tonicité assez peu particulière de la part de la formation. On songera certainement à « Driven to Destruction » où des vibrations frénétiques giclent littéralement au beau milieu d ‘une torpeur froide. Un titre assurément dynamique, tout le contraire de « Left Out » limpide, cristallin. Les sonorités dégagées agissent telles des échos dans un environnement liquide, ponctué par quelques courants chaud à l’orgue. Au grès que l’on avance la température et l’entrain augmentent.
Une évidence se profile, celle d’une mise en retrait du chant. Mariusz laissera la part belle aux instruments, renforçant du même coup l’approche progressive. Ce chant sera le plus souvent susurré, d’une douceur qui pourrait s’apparenter au velours. On le retrouvera donc sur les passages les plus calmes et apaisants, qui agiront comme de véritables instants de plénitude, des paliers de décompression nécessaires pour continuer. Néanmoins le chant de Mariusz pourra se montrer à l’origine de brefs coups d’éclats à l’origine des tumultes envahissants de sons électriques et électroniques.
Il faudra souligner la grosse performance réalisée par « Hybrid Times ». Le meilleur titre de l’opus, sans le moindre doute. Un jeu pressé et irrité au piano sera suivi par des saccades et des giboulées de notes. Un gain en agressivité est alors immédiatement perceptible. Cela se tassera au niveau ambiance, mais il persistera une nervosité que l’on ressentira désormais sur tous les instruments, comme pour la voix.
Suite à une ascendance généralisée, le instruments, batterie en tête arriveront à une sorte de point de rupture, qui n’aboutira plus après que par une torpeur semi planante, étouffant des gémissements, des râles tourmentés, pris dans le siphon d’un torrent artificiel.
Une musique progressive de premier ordre, des compositions riches, un dédale, quasiment un déluge de sons et de lumières. Voilà ce qu’est «
Anno Domini High Definition », aujourd‘hui considéré par de nombreux fans comme le meilleur album de la formation. De plus, cette plongée en environnement hostile et artificiel permet au groupe de se voir reconnaître parmi les grandes formations du prog’ européen.
16/20
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