Montceau-les-Mines, ancienne ville minière de Saône et Loire, située en Bourgogne Sud, les premiers travaux d'exploitation du charbon en sous-sol débutèrent en 1815 jusqu'à la fermeture du puits de Darcy en avril 1992, dernier site d'extraction de charbon souterrain jusqu'alors. L'arrêt de toute activité houillère en décembre 2000 à la découverte de Saint-Amédée dont l'exploitation à ciel ouvert a modifié de manière indélébile le paysage, aura marqué de manière tout aussi profonde et indélébile les habitants du bassin minier tout autant que Les Zobsecks auront traumatisé une partie de la population locale.
Montceau-les-Mines en 1983, j'ai 16 ans, interne en LEP automobile plus par dépit que par réel intérêt et comme chaque samedi je retrouve mon pote Ronnie. Le rituel est immuable, nous enfourchons nos cyclos respectifs et nous rejoignons Zob, Blanche et Morate au kiosque de l'office du tourisme situé en plein centre-ville pour une après-midi à zoner et à observer la foule locale, à attendre le(s) passage(s) de la rouquine toujours flanquée de sa copine « la mèche » qui nous adressent des regards mi-moqueurs mi-dédaigneux, à toiser la bande de Rockabs du coin en jouant à celui qui lancera le regard le plus épais, tout en éclusant un horrible mais peu onéreux breuvage houblonné estampillé « Pils » acheté au Super Casino situé à tout juste deux pas en face de notre point stratégique. Nous étions un peu paumés il faut bien l'avouer et nous nous faisions royalement chier.
Lassés par cet ennui hebdomadaire, l'idée de former un groupe est évoquée régulièrement puis sérieusement jusqu'à l'insistance. Les premières paroles sont écrites dans la chambre de Zob, les premières notes sont grattouillées à la guitare, rythmées par une corbeille de bureau retournée faisant office de batterie, Les Zobsecks étaient nés.
Situé impasse de la Lande, le désormais mythique garage parental à Zob était devenu le lieu de rassemblement de toute la faune locale aux tenues vestimentaires les plus douteuses et débraillées et le théâtre de répétitions dantesques durant lesquelles les tympans étaient soumis à rude épreuve, pas de drogues, un peu de bière et ça jouait fort, très fort même ! Toutes les séances auxquelles j'assistais en tant que spectateur privilégié me laissaient les oreilles sifflantes durant deux jours, sans doute l'origine de mes envahissants acouphènes mais Les Zobsecks avaient désormais leur son. Leur style évolua rapidement d'un Punk classique vers un style hybride qu'ils nommèrent eux-mêmes Schlag Moshing Mayod' Core, leur modestie dut-elle en souffrir le chaînon manquant entre les groupes Chaos Production (
Komintern Sect, No Class,
Reich Orgasm, Les
Collabos...) et le Hardcore à l'Anglaise, de mon humble point de vue.
Comment aborder le contenu de cette cassette sans évoquer les conditions d'enregistrement ? Les 17 titres furent enregistrés live dans le grand garage à l'aide d'un simple lecteur/enregistreur à cassette de la marque Philips si ma mémoire ne me fait pas défaut, placé au centre de la pièce. Et là, il faut rendre hommage à Saitout, surnommé ainsi car il avait réponses ou explications sur tout, sans doute le premier geek de Saône et Loire, le type qui après plusieurs demis sans faux col bus en ta compagnie, partait dans des théories que tu ne pouvais de toutes façons pas contester, pour t'affirmer au final que quantiquement parlant, tu n’étais pas assis sur une chaise.
En regard au matériel mis à sa disposition et des conditions acoustiques du lieu, son travail sur le son a été remarquable, fruit de nombreux essais et de multiples déplacements d'amplis et d'instruments de quelques centimètres parfois, mettant la patience de chacun à rude épreuve, il n'y a pas eu de place au hasard. Et le résultat est là ! Chaque instrument est parfaitement audible, aucun ne déborde sur l'autre, le son est raw et sans concession, restituant fidèlement la détermination à vouloir démonter les murs, et l'on ne peut qu'être admiratif du résultat à l'écoute de cette cassette qui approche lentement ses 30 ans.
En appuyant sur le bouton play, le son apparaît dur comme une eau calcaire, la machine lancée en mode essorage, ça secoue très fort, les titres s’enchaînent sans temps mort en mode défouloir activé.
Des hymnes ? Il y en a plein. Des morceaux à la mélodie souterraine avec des refrains à gueuler en chœur tels que
Baston dans le Charbon,
Apocalypse, Les Obsèques des Zobsecks, Skinhead Garou et sa basse ronflante, des paroles revendicatives et subversives avec Anciens Combattants, Chanson pour l’Éthiopie dans laquelle le groupe se moque avec acidité et lucidité de l’hypocrisie des "people" de l'époque s’émouvant ponctuellement du malheur des autres à coup de vidéo-clips larmoyants.
Quelques titres TGV remarquables également, du style sprint sur 400 mètres en apnée avec Ma Queue, Peindre Poncer et le terrible Monique qui ferait passer un
Ace of Spades pour une aimable promenade digestive, j'exagère à peine, le tout sur fond de paroles classées X. A ne pas mettre entre toutes les oreilles.
Faut-il vraiment en parler de cette irrespectueuse, irrévérencieuse reprise de
Queen à la sauce Zobsecks ? L'emblématique We Will Rock You, maltraité, bastonné, schlagué même, transformé pour l'occasion en We Will
Fuck You dans lequel le groupe scande leur devise que la décence ne m'autorise à écrire ici. Inutile de leur pardonner, ils savaient très bien ce qu'ils faisaient.
Forte de cette démo, la réputation des Zobsecks grandit localement, le groupe répondra à quelques interviews, participa à quelques compilations cassette (Sur des Chardons Piquants, La Cassette de Jean-François, France Kontact USA, Chodeloque) et donna cinq concerts dévastateurs dont l'un a certainement traumatisé à vie un pauvre animateur de radio locale qui ne s'attendait pas à un tel déluge sonore, le malheureux effrayé ayant été bien mal inspiré de tenter de séquestrer la fée électricité à leur insu, puis en 1989 le groupe splitta au grand soulagement des résidents de l'Impasse de la Lande.
Montceau-les-Mines en 2015, les plus pessimistes parlent de Montceau-les-Ruines, on ne peut leur donner entièrement tort. Le taux de chômage atteint quasiment les 20 %, les incivilités, les vols de coffre-forts dans les supermarchés, les distributeurs automatiques plastiqués, les dégradations se multiplient. Avec l'inéluctable et progressive disparition des anciens mineurs qui ont si durement bastonnés le charbon, c'est l'âme de la ville qui s'étiole, la mine était le lien, le poumon de l'activité, métaphore tristement ironique lorsque l'on connaît les ravages causés par la silicose sur l'appareil respiratoire de nos vaillants "Gueules Noires".
A mon père qui a bastonné le charbon 37 années durant à 900 mètres sous terre, blessé à maintes reprises sans jamais se plaindre de ses conditions de travail de forçat, et qui s'est assuré que nous ne manquions de rien à la maison. Quand je pense que certains arrêtent de travailler pour un simple rhume… Merci Papa, quand tu partiras, cette ville perdra encore un peu plus de son âme.
A Stéphane, le prince du coup de boule, parti pogoter bien trop tôt dans les étoiles, tu ne liras jamais ce texte mais j'ai tenu ma promesse. Repose en paix l'ami.
A Paul S. dit Popaul [1935-2018], tu me manques papa.
Blanche a été facteur dans ma cité pendant une bonne poignée d'années mais là ça fait 3 ans que je ne le vois plus, il a sans doute été muté.
Zob a toujours la même dégaine que ces années là, jeans déchirés, cheveux hérissés, le look du personnage en marge de la société. Il a pas changé.
J-M, toujours le même, personnage d'une extrême gentillesse et à la coolitude assumée qui enchaîne les missions d'intérim.
Tous clients plus ou moins fidèles de l’atelier dans lequel je bosse et qui me vaut le plaisir de les croiser et de tailler un bout de discute de temps en temps.
Relu ta chro aujourd'hui car je me souvenais de ton hommage. Grosse émotion en relisant ton (avant) dernier paragraphe. Courage mon ami.
Merci pour cette plongée nostalgique dans notre jeunesse pleine d'insouciance et de furie musicale... On ne savait pas à l'époque qu'on vivait des moments qui ont marqué si profondément et intensément le sens et la direction de nos vies... Quelle putain de belle époque! Punks not dead, juste plus vieux et plus teigneux!!
Merci pour ta visite Didier, oui une époque et un esprit qui malheureusement se dilue dans le formatage actuel, reste que votre héritage a obtenu une postérité dans ce blog.
J'ai su par mon frère Vince que tu avais conservé les archives du groupes notamment les paroles, il y en a par ici, dont moi qui seraient intéressés pour y avoir accès.
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