Assurément, l’année 1991 a été un grand cru en termes de rock. « Nevermind » de
Nirvana, « Achtung Baby » de U2, « Ten » de
Pearl Jam, mais surtout «
Blood Sugar Sex Magik » des
Red Hot Chili Peppers.
Jusqu’en 1989, le groupe est dans une situation difficile. Les deux premiers albums se vendent mal et leur guitariste Hillel Slovak décède d’une overdose et Jack Irons, le batteur, quitte le groupe. Flea et Anthony Kiedis décident de quand même poursuivre l’aventure en engageant
John Frusciante, alors un fan de 18 ans, et Chad Smith. Ensemble ils sortent en 1989 « Mother’s Milk » qui devient disque d’or, et c’est alors le début de la véritable notoriété. Après deux ans d’absence, le groupe revient avec 17 nouveaux titres produits par le grand Rick Rubin avec lequel ils travaillent toujours et qui formeront cette perle intemporelle qu'est "
Blood Sugar Sex Magik". Petite anecdote, dans le film «
Funky Monks » qui raconte la genèse de l’album, il est dit que la maison dans laquelle a été enregistré l’album est non seulement censée être hantée, mais aussi être celle où
Jimi Hendrix et les Beatles ont touchés à la drogue pour la première fois.
« Mother’s Milk » avait attiré l’attention grâce à son mélange de rock, de funk, de metal et de rap. Pour «
Blood Sugar Sex Magik », Rick Rubin décide de pousser cette diversité musicale encore plus loin. L’album est tantôt doux tantôt nerveux, tantôt rock tantôt psychédélique, et chaque membre du groupe se consacre entièrement à la musique pour un résultat impressionnant. «
Blood Sugar Sex Magik » est l’album qui définit enfin le style du groupe. Côté thème par exemple, on retrouve ce qui sera la majorité des thèmes du groupe durant les années à suivre : le sexe («
Suck My Kiss », «
Give It Away » - même si Frusciante a dit que cette chanson portait aussi sur le partage, car sa petite amie de l’époque,
Nina Hagen, lui avait donné un manteau auquel elle tenait beaucoup » -, la drogue («
Under the Bridge » qui parle du pont sous lequel Kiedis se procurait ses produits), et même leur compagnon disparu, Hillel Slovak (« My Lovely
Man »).
Les premiers morceaux plongent directement l’auditeur dans le monde délirant et funky des
Red Hot. « Power Of Equality » est porté par une basse bondissante joué par l’incroyable Flea à la dextérité exemplaire qui s’offre même un petit solo sur la fin, accompagnée par quelques notes claires de
John Frusciante et de batterie sèche de Chad Smith alors que la voix de Kiedis crache un torrent de paroles saccadé dans le pur style du groupe. Plusieurs autres chansons de l’album sont marquées par ce style «
Red Hot », à savoir le mélange funk et rap. «
If You Have to Ask » et « Naked in the Rain » propose ainsi une expérience à nouveau fondée sur le mélange de la basse qui s’oppose au jeu de guitare clair de Frusciante.
« Blood
Sugar Sex Magic » est aussi l’occasion pour RHCP de mettre en avant leur nouvelle recrue de choc :
John Frusciante. De nombreux morceaux le mettent à l’honneur. Commençons ce petit tour d’horizon par « The Righteous and the Wicked ». Ce dernier ne repose quasiment que sur le riff de
John Frusciante, qui prend ses racines dans un mélange de blues et de metal, prouvant encore une fois l’éclectisme des membres du groupe. « Sir
Psycho Sexy », lui, est une preuve d’amour de Frusciante à son modèle
Jimi Hendrix, ce qui se ressent par l’utilisation de la pédale à distorsion et par le son sec mais fluide qui se dégage du morceau, le tout dans un rock funk-psychédélique entraînant. Le groupe avait d'ailleurs repris des titres de l'Enfant Vaudou dans son album précédent et la tournée qui suivit, à savoir "
Fire", "Castles Made Of Sand" et "Crosstown
Traffic". Mais John est aussi un créateur de riffs comme le montre «
Suck My Kiss », chanson emblématique du groupe souvent reprise en concert, à la limite du hard-rock.
La plupart des aspects cités précédemment se retrouvent dans les trois morceaux centraux de l’album, trois éclairs de génie qui caractérisent les
Red Hot et qui font partie de leurs plus grands succès. D’abord «
Give It Away », énorme succès à l’époque – c’est la première chanson numéro 1 aux charts du groupe -. La chanson a été composée lors d’un jam : comme le dit Anthony Kiedis, « Quand Flea a commencé à jouer cette ligne de basse, ce torrent a littéralement jailli de ma bouche ». Ce torrent, c’est bien entendu le refrain speed de la chanson. Côté rythme, on retrouve le traditionnel funk du groupe, accompagné de quelques notes country par-ci par-là. Il se dégage de ce morceau une énergie incroyable, ce qui était très probablement l'intention du groupe. Le clip, lui aussi mémorable, a créé un tabac. Réalisé par le français Stéphane Sednaoui, il est possible d’y voir les quatre compères du groupe peinturlurés en argent de haut en bas et danser comme des diables dans le désert. Pour la petite anecdote, la radio texane à qui Warner avait demandé de diffuser la chanson pour la première fois a refusée et a rétorqué au label de "revenir quand la chanson aurait une mélodie".
Le morceau suivant, « Blood
Sugar Sex Magic », est une preuve d’amour au rock dans son plus simple appareil : alternance couplet/refrain avec voix caverneuse, riff quasiment unique dans la chanson, section rythmique discrète mais importante, et bien évidemment, refrain nerveux.
C’est le onzième titre qui, selon moi, est la pièce maîtresse de l’album. «
Under the Bridge » fait partie de ces ballades mémorables, celles qui nous marquent au fer rouge et qui nous accompagnent toute notre vie. Elle commence par une introduction de guitare calme mais magistrale de
John Frusciante, puis au fur et à mesure se rajoutent le chant de Kiedis, la batterie de Smith et la basse inoubliable de Flea. Monument de douceur, il fait contraste avec le reste des chansons du groupe, ce qui renforce encore plus son pouvoir musical. Et c'est là tout le génie des
Red Hot Chili Peppers : ils savent mélanger avec brio des genres très différents, preuve d'un talent indéniable.
J’aurais aimé parler encore d’autres chansons, mais il me faudrait des pages et des pages pour rentrer dans les moindres détails de l’album. «
Blood Sugar Sex Magik » est l’album de la consécration pour les
Red Hot Chili Peppers » : il annonce la création de leur style unique, une apogée inégalée jusqu’alors pour le groupe, l’un de leur plus grand succès critique et commercial – vendu à 15 millions d’exemplaires à ce jour - et surtout la pièce maîtresse de leur œuvre. Décidément, 1991 fut réellement une année bénie pour le rock.
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