Rarement la musique généra des émotions aussi fortes...
Les années 70 ont été le digne descendant des 60s, bon nombres de chansons composées lors de ces deux décennies font parties intégrantes de notre patrimoine musical. C'est à l'aube d'une nouvelle ère et en pleine crise politique américaine(la guerre du Viet Nam bat son plein) que la musique populaire allait être amenée vers des sommets peu fréquemment atteints.
Le 26 janvier 1970, le duo folk
Simon and Garfunkel nous délivre leur nouvelle et dernière production et qui est sans nul doute la meilleure. C'est dans un climat de tension que nos deux compères enregistrent cet opus, une gestation pleine de dissensions, de conflits, il y avait matière pour que les divergences d'opinion de
Paul Simon et
Art Garfunkel nous mènent à la catastrophe et que cet album soit un pur naufrage. Mais on le sait, c'est parfois dans l'adversité que les artistes arrivent à créer leurs plus belles œuvres. Les White Album et Abbey Road des Beatles sont, même si on leur préférera Rubber Soul,
Revolver ou l'inégalé Sgt Pepper's Lonely Hearts Club Band, des petits bijoux de la pop malgré la guerre d’ego dans lesquels ils furent bercés. Que dire du
Red de
King Crimson souvent considéré, à juste titre, comme le chef d’œuvre du roi pourpre malgré le fait que
Robert Fripp se réfugia dans un mutisme quasi total durant son enregistrement. Inutile de préciser que ce Bridge Over Troubled Water s'inscrit dans la lignée de ces ablums, certains(dont moi) iront jusqu'à dire qu'il les surclasse haut la main.
Il n'y a tout simplement rien à jeter dans cet opus. Que dire de l’entraînante
Cecilia décomplexée à souhait avec ses paroles douées d'un certains cynisme sur les relations amoureuses et sur la niaiserie dont on peut faire preuve face à l'amour,
Cecilia nous a brisé le cœur, nous a trompé mais on l'aime quand même! (j'adore ce couplet « Making love in the afternoon with
Cecilia, Up in my bedroom, I got up to wash my face, When I come back to bed, Someone's taken my place).
Un titre qui doit beaucoup à sa ligne de percussion dansante à souhait(Hal Blaine aux commandes, excusez du peu) et sa mélodie imparable. Dans le même genre on retiendra le très rockabilly Keep The Customer Satisfied au rythme effréné ou le plus pop Baby Driver partagé entre guitare acoustique et saxophones aux paroles un peu décalées mais formant un ensemble toujours aussi agréable, un titre qui pourrait aisément figurer sur un album des Beach Boys. On n'oubliera pas également les intimistes The Only Living Boy In New York où
Paul Simon fait probablement référence au départ de son ami Garfunkel parti tourner
Catch 22 le laissant seul à New-York et le plus jazzy So Long, Frank Lloyd Wright où l'on reconnaîtra Art derrière le maître Wright, l'homme ayant longtemps étudié l'architecture.
El Condor Pasa et sa mélodie péruvienne savoureuse arrangée à la sauce
Simon and Garfunkel constituera lui aussi un classique de la discographie des deux hommes et nous laissera entrevoir une fois de plus l'intérêt de
Paul Simon pour la World Music, intérêt qu'il concrétisera de façon plus franche dans sa carrière solo.
On dit toujours qu'il faut laisser le meilleur pour la fin mais dans le cas présent, il est bien difficile de nommer lequel des deux chefs d’œuvres que l'on va aborder surpasse l'autre. Commençons alors avec le titre éponyme, le mythique Bridge Over Troubled Water, ballade dont la qualité n'a d'égal que son succès commercial, restant six semaines à la tête du Billboard Hot 100. Cette chanson composée par
Paul Simon pour la voix d'
Art Garfunkel traduira non seulement le talent mélodique incontestable de son géniteur mais aussi la fragilité de l'amitié des deux hommes, Simon avouant en interview qu'il regrettait d'avoir laisser Art la chanter, ah mesquinerie quand tu nous tiens. Néanmoins, on va faire abstraction de ces basses attaques pour nous concentrer sur l’œuvre en elle même. Une ballade touchante avec une orchestration grandiloquente et un chant d'une beauté rare, émouvant au possible, on ne peut que s'incliner devant cette ode à l'amitié écrite de la plus belle des façon. La liste de ceux tentant de reprendre ce titre est longue mais aucun parmi les
Elvis Presley, Jackson Five ou Aretha Francklin et sa version gospel n'arrivera à retranscrire les richesses offertes par la version originale.
Puis, au milieu de ce tout si cohérent, au milieu de ces titres plus divers et plus réussis les uns que les autres et même juste au dessus de la magnificence du titre éponyme, arrive The Boxer. Vous savez, c'est le genre de titre qui vous marque, qui vous marque vraiment, pas ces chansons sympathiques dont vous retenez le refrain, dont vous louanger les qualités mais qui un jour finiront par vous lasser, non ici vous avez affaire à la musique dans ses plus beaux aspects. Rarement les harmonies vocales n'ont été si travaillées, si prenantes, le chant est bourré d'émotions et d'authenticité.
Simon and Garfunkel sont poètes ici, tout coule de source, tout frappe là où il faut, la mélodie est imparable et on ne pourra que chanter en cœur ces « lie la lie » enchanteurs sous une orchestration d'une finesse remarquable avec son solo d'harmonica, tout cela crée une chanson transpirant de véracité, de musicalité, de poésie. C'est beau tout simplement...
Beaucoup n'osent pas donner la note ultime à un album, rien n'est parfait, on trouvera toujours un défaut à une œuvre. Cependant, il y a de ces albums qui vous ont emmené si loin, qui ont fait naître chez vous des sensations si fortes que la note maximale est la seule pouvant quantifier, de la façon la plus juste, à quel point vous avez vibrer à l'écoute de ces pièces. En presque dix années d’activité le duo nous a gratifié d'au moins trois titres qui demeureront parmi les plus belles perles de la musique contemporaine, Bridge Over Troubled Water,
The Sound Of Silence et The Boxer.
Simon And Garfunkel nous a fait cadeau de leur dernière offrande, de leur joyaux le plus brillant et le plus précieux, je terminerais donc cette chronique par un sobre mais sincère, merci.
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