Après une introduction assurée par le saxophone (« Dawna »), d’une extrême lenteur et de ce fait encore plus relaxante que les passages les plus calmes du précédent «
Good », c’est une basse nerveuse qui amène « Buena », rejointe par la batterie et par la voix, avant que le saxophone, résolument jazz, ne se déchaîne avec élégance, dans un solo dont la durée conséquente lui donne une importance égale à celle du chant. Le rythme, à la fois rapide et marqué par des interruptions qui relancent l’intérêt pour le morceau, s’accorde bien avec la dissonance ambiante.
« I’m Free
Now » n’a rien à voir avec le free jazz, et on peut se poser la question, à la suite de « Buena », aux accents plus pimentés, si l’album ne s’engage pas déjà sur la voie d’une polarité jazz trop en retrait par rapport à la polarité rock. Il est vrai que la problématique de l’équilibre entre ces deux influences chez
Morphine restera d’actualité jusqu’au bout. Finalement, la relative consonance d’ « I’m Free
Now » passe autant que son tempo modéré.
« All Wrong », de nouveau plus rapide, n’accordant pas, au début, autant d’importance au saxophone que « Buena », du coup les doutes ne sont pas encore dissipés. D’un autre côté, l’album jusqu’à présent sonne avec plus de force et d’éclat que le premier, sans que cela suffise forcément à combler toutes les attentes. Il faut que la fin du morceau fasse usage d’un pédalier d’effets sur le saxophone pour avoir une couleur marquant l’instant d’une croix particulière.
« Candy », bien que moins rapide que « Buena » (décidément, « Buena » apparaît un peu comme la référence incontournable de l’opus), donne de nouveau autant d’importance au saxophone qu’au chant. La tonalité sombre de « Head with
Wings », ponctuée par des passages bruyants, va également loin dans l’exploitation du potentiel de tous les instruments et de leur symbiose, une symbiose festive qui réveille le disque.
Avec son supplément d’harmonie, ses sonorités folk et sa voix monocorde, à la limite d’une extinction qui rappelle d’autres diseurs talentueux tels que
Leonard Cohen, « In Spite of Me » rafraîchit l’ambiance.
Plus lourd, plus agressif, « Thursday » se pose comme on jette son sac de voyage sur le sol d’un hall d’entrée poussiéreux, après un long parcours dont on sent qu’il ne fait que goûter une brève étape avant de se prolonger. Tel est l’imaginaire sonore qui émane du titre, dont le texte, lui, raconte en fait une histoire d’adultère, sur l’invitation de la femme infidèle.
Les longues syllabes de «
Cure for Pain » valorisent la musicalité du texte, autre façon de tirer parti des possibilités à la fois simples et nombreuses de la formule limitée à trois instruments, mais c’est « Mary Won’t You Call My Name » qui emporte la palme du moment le plus fort de l’album, à la fois entraînant et riche en développements mélodiques.
Plus taciturne, « Let’s Take a Trip Together », où le chant semble toucher le fond du cendrier, ne manque pas de détermination et intrigue dans le bon sens. Après l’érotisme mystérieux de « Sheila », c’est un « Miles Davis’ Funeral » sans saxophone qui conclut «
Cure for Pain », tout aussi réussi que «
Good » en étant moins linéaire, donnant à la première écoute une impression de fiabilité moindre au profit d’une prise de risque plus expressive, préambule à de nombreuses réécoutes occasionnelles depuis sa sortie.
D. H. T.
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