Avec « Never Give Less Than Everything », l’intention est bonne et elle est claire : tout donner. Enfin, l’intention est surtout claire. Quant à affirmer qu’elle est bonne, cela dépend en fait de ce que l’on entend par tout donner. S’il s’agit de donner le meilleur et rien que le meilleur, on peut dire que, sur ce projet d’album, les Immaculate Fools sont au maximum de leur potentiel en ce qui concerne le titre en question. Mais le potentiel de ce groupe est multiple, comme on le voit chez eux d’un disque à l’autre, selon les périodes et selon une tendance assez marquée à essayer à chaque fois quelque chose de différent. Par ailleurs, donner le meilleur dès le premier titre constitue toujours un risque. On l’a vu par exemple avec « Feline » des Stranglers, où toute l’attention se focalise sur « Midnight Summer Dream », même si l’album est très bon dans l’ensemble. Pour juger de la qualité d’un opus, des éléments subjectifs entrent bien sûr en considération, et même la tradition classique la plus savante n’est jamais parvenue à esquiver totalement cette dimension de l’affect, ce parce qu’une relation totalement froide à la musique n’est tout simplement pas souhaitable (sauf niches dédiées, de type math rock, cold wave ou musique industrielle, et encore). Quant à la part d’objectivité, on peut la situer, dans le rock en général et chez un groupe comme Immaculate Fools en particulier, entre l’annonce et le déroulement. Si l’album se démarque, à un moment donné, par son rapport privilégié entre l’exaltation de la mélodie et le paroxysme de l’intensité, rapport servi par un message fort, de type « Never Give Less Than Everything » (ce qui rejoint totalement la logique du hit single), il est évident que le reste du disque va être jugé à l’aune de cette référence, soit, en règle générale et en ne se limitant qu’aux exemples acceptables : moyen si le hit, produit d’appel, porte ombrage aux autres chansons (voir « Parklife » de
Blur) ; assez bon si la moitié des titres se maintient à un niveau remarquable et que le reste se borne à une exécution technique acceptable (voir « The Head on the Door » de
The Cure) ; bon si l’album contient des signatures charismatiques dans une ambiance relativement identifiable d’un bout à l’autre (voir « Movement » de
New Order) ; très bon si des aspects récurrents structurent tous les titres sans dépareiller les meilleurs (voir « Hounds of Love » de
Kate Bush) ; excellent si les moments forts ont droit à des échos ou à des rappels réguliers (voir « Unknown Pleasures » de
Joy Division) ; parfait si la dynamique des morceaux phares et les autres qualités structurelles convergent en permanence et que cette tension maximale résiste à l’écoute et emporte cette dernière (voir « Automatic for the People » de
REM). Ce n’est qu’une perspective parmi d’autres et dont la pertinence repose sur la possibilité d’identifier une force référentielle. Il existe bien d’autres façons de pondérer la subjectivité quand on écoute de la musique de manière immersive, dans le but d’évaluer à quel point, en l’occurrence, les chansons nous plaisent vraiment. On a déjà présenté « Never Give Less Than Everything », une bonne occasion de faire un point théorique. La possibilité de retrouver des qualités similaires sur les quatre premiers titres est plutôt bon signe : «
Dumb Poet» , c’est le rock anglais typique des années 1980, new wave, romantique, avec beaucoup de synthé ainsi qu’une section rythmique affirmée, elle-même embellie par des guitares partagées entre saturation et accalmies acoustiques, mais c’est aussi, déjà, un regard attentif porté sur les mélodies du passé, avec une certaine admiration pour la musique américaine. Plus lente, « Tragic Comedy », ou plus rapide, « One Minute », la sobriété consonante amène une ambiance solaire pour dissiper la grisaille, quelque part entre « Every Breathe You Take » et « Don’t Stand So Close to Me » (la version de 1986) de Police. Si «
Dumb Poet » tend vers la déclamation, il introduit deux temps faibles, ce qui n’est pas forcément péjoratif car les sonorités plus folk, en elles-mêmes, sonnent avec justesse : le redondant « So Much Here » et « Wish You Were Here », hommage un peu trop évident à
Pink Floyd. L’harmonica de « Don’t Drive the Hope from My Heart » contribue à une synthèse, où la guitare électrique revient en force à partir de la troisième minute. Même constat, à peu près, avec « She Fools Everyone », pour ce qui est de l’esprit de synthèse. Le conquérant « Pretty Prize
Now » et le mélancolique « Stay Away » magnifient la fin d’un opus homogène en demi-teinte, bon mais un peu trop prévisible. Son fil rouge demeure la voix de Kevin Weatherill, ni trop grave, ni trop aiguë, franchement britannique, avec une prédilection pour les voyelles ouvertes.
D. H. T.
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