Chaque nouvel album des Black Keys parvient à surprendre son monde. Il y eut les débuts,un blues rock lo-fi, brut, minimaliste et rustique. Puis, les deux potes originaires d’Akron (aujourd’hui installés à Nashville), Patrick Carney (batterie) et Dan Auerbach (guitare/chant), sortirent de leur sous-sol pour investir les studios d’enregistrement et s’adjoindre les services du producteur Brian Burton (alias Danger Mouse). « Attack & Release » en 2008 est le premier témoignage de la nouvelle direction prise par le duo. Les aspérités lo-fi commencent à s’effacer pour céder la place à un blues rock aux teintes pop et aux arrangements plus riches grâce à l’adjonction de claviers notamment. En 2010, l’album «
Brothers », porté par des rythmes soul chaloupés, connaît un retentissant succès dont ses auteurs sont les premiers à s’étonner : « Après la première semaine, il est devenu apparent que les gens l’aimaient. Mais le plus étrange c’est que ça a duré » (Carney)*. Fin 2011, l’aventure continue et «
El Camino » ("le chemin" en espagnol) atterrit dans les bacs.
Ce nouvel opus confirme le talent du duo+1 (Danger Mouse a participé à l’écriture du disque) pour écrire des morceaux d’une efficacité redoutable et pleins de bonne humeur. Si « Brother » est considéré comme un album de studio par le groupe, «
El Camino », lui, est taillé pour la scène. Fiévreuses et frontales, les 11 nouvelles compositions, et presque autant de tubes, ne laisseront personne indifférent. Sauf peut-être les râleurs patentés qui ne cessent de répéter que c’était mieux avant, mais bon, passons.
Exit les claviers de « Attack & Release », exit les tempi lents et lascifs de «
Brothers ». Sur «
El Camino » l’écriture a été resserrée, les rythmiques tapent durent et la guitare se taille la part du lion. Le disque est à peine lancé que déjà les hauts-parleurs se mettent à cramer sous la charge du tubesque "
Lonely Boy" et de son refrain simple mais qui se loge dans le cerveau pour ne plus en sortir, une sorte de boogie des temps modernes. Premier morceau et première surprise : l’apparition de chœurs que l’on retrouvera plusieurs fois tout au long du disque et qui apportent une certaine fraîcheur à l’ensemble, multipliant par dix le côté festif et pop du disque.
On ne peut passer sous silence l’apport de Danger Mouse. Il sait rester en retrait tout en apportant une certaine rondeur pleine de sensualité aux rythmiques et trousser des petites mélodies assassines comme personne (par exemple le titre "
Sister"). Si le style estampillé « Danger Mouse » est aisément reconnaissable (souvenons-nous du « Modern Guilt » de
Beck ou de l’excellent « St. Elsewhere » de Gnarls Barkley), il n’est certainement pas étranger au succès croissant du groupe.
Bien que
The Black Keys se fasse plus « mainstream » depuis « Attack & Release », pour le plus grand bonheur de ses détracteurs, Patrick Carney et Dan Auerbach savent garder un certain recul et accueillent avec philosophie et humilité l’enthousiasme grandissant qu’ils suscitent. Les deux compères n’oublient pas d’où ils viennent. Il n’y a pas de calculs dans leur démarche, ils font tout simplement la musique qu’ils aiment sans arrière pensée et sans limite créative… et si ça marche tant mieux (car il faudrait être un peu nigaud pour vouloir rester volontairement tout seul dans son coin)… Cette attitude à la fois stoïque et détachée s’illustre déjà au travers de l’artwork : une série de clichés représentant de vieux vans comme celui que le duo utilisait à ses débuts pour partir en tournée. A en croire ce qu’ils en disent, cela ne devait pas être marrant tous les jours de vivre et d'entasser le matériel dans cette charrette… Et ensuite il y a la musique… Le temps du lo-fi est révolu, néanmoins les compositions conservent une âme rock’n’roll brute et énergique dans le respect des grands anciens tels que
The Cramps, les Rolling Stones et même
Led Zeppelin dont le « folkeux » "Little Black Submarines" en est une réminiscence et constitue un des moments les plus intéressants de «
El Camino » : un début calme et acoustique, ce qui permet de souffler un peu après les assauts des "
Lonely Boy" et autre "Gold on the Ceiling", avant de se heurter à un mur de saturations à la dynamique hard rock 70’s. Ce titre démontre deux choses : premièrement, le tandem Carney/Auerbach refuse l’inertie créative et, deuxièmement, il peut être considéré comme le détenteur d’une certaine tradition rock.
Néanmoins, bien que le bilan global soit positif, tout n’est pas rose au pays d’«
El Camino »… ou si, justement. L’optimisme des compositions peut parfois sombrer dans une sorte de naïveté rose bonbon acidulé pouvant filer la nausée à la longue. Par exemple le titre "Stop Stop". A force de chercher l’efficacité, certains titres n’échappent pas au piège de la redite rythmique et de la facilité et donne la sale impression que le groupe est en pilotage automatique ("Hell of a Season"). On peut également reprocher un côté trop propret qui entre un peu en contradiction avec le style frondeur de l’album et pousse à nous interroger sur les limites du rôle dévolu à Danger Mouse. Toutes ces considérations ne trouvent qu’un seul verdict : à écouter à fonds les manettes mais avec modération.
«
El Camino » marie un groove frondeur et décomplexé à une aura pop élégante dans un chahut rock’n’roll jouissif et dansant. Il est bien difficile de rester de marbre face aux brûlots que sont "
Lonely Boy", "Run Right Back", "
Sister", "Money Maker" ou encore le distingué "Nova Baby". Une fois encore,
The Black Keys confirme qu'il est un nom qui compte dans le monde du rock moderne.
De toute façon, en ces temps tourmentés, ce disque est une tranche de bonne humeur qui ne se refuse pas !
*Extrait de l’article parut dans le magazine Rock&Folk N°533 (janvier 2012)
Bonne chronique au point de vue bien argumenté, d'autant que c'est le même avis que le mien . Effectivement, c'est un album léger et agréable, mais cela manque de profondeur,
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