Vous connaissez les Flower Kings ? Pour ceux qui ne connaissent pas trop la scène progressive suédoise (rock principalement),
The Flower Kings est un groupe issu de ce qu'on appelle souvent la troisième vague prog (= les années 90), influencé notamment par
Genesis, et fondé par Roine Stolt plus ou moins sur les ruines de
Kaipa. Le groupe connaît un gros succès, de même qu'un incessant va et vient de musiciens, entre projets solo, projets secondaires, tertiaires, etc. Si bien qu'on a parfois coutume d'appeler cet ensemble de musiciens la Flower Kings family. Parmi les personnalités de cette famille, il y a entre autres Jonas Reingold, bassiste des Flower Kings, et crédité pour divers travaux (le bonhomme est aussi ingénieur du son/producteur) dans des dizaines et des dizaines d'albums depuis les années 1990.
Comme si cela ne lui suffisait pas, il fonde en 1999 un nouveau projet du nom de Karmakanic. Le nom viendrait de la contraction de ''karma mechanic'', issu d'un vers de la chanson de
Genesis, The Battle of Epping Forest. Coïncidence - je ne pense pas – la même année Tomas Bodin (
The Flower Kings, sans blague) sort un album solo intitulé Pin-up Guru, mots que l'on trouve deux vers avant ''karma mechanic'' dans ladite chanson de
Genesis. Bref ! Pour mener à bien son projet, Jonas Reingold s'entoure de musiciens, talentueux évidemment, avec Jaime Salazar aux fûts, Tomas Bodin aux claviers, et Roine Stolt aux guitares et chant occasionnel : ce qui nous fait quatre membres des Flower Kings au même moment. Deux inconnus (Robert Engstrand et Johan Glössner) viennent en aide respectivement au clavier et à la guitare, puis vient le non moins incroyable Göran Edman, célèbre pour avoir fait ses vocalises sur le Fire and Ice de Yngwie Malmsteen.
Le premier album voit le jour fin 2002 chez le label suédois Regain Records, plutôt habitué à sortir du black ou du death metal.
Entering the Spectra est
Doté d'une pochette au goût douteux, toujours aussi colorée que dans les Flower Kings. La galette en elle-même contient dix morceaux (onze sur mon édition, qui aurait apparemment un bonus américain), de durées très variables, se confrontant à plusieurs reprises au format mini-épopée de dix minutes.
L'introduction que nous propose Karmakanic est probablement l'une des pires entrées en matière du rock progressif : une voix féminine sur fond de claviers cheap nous narre l'histoire d'un tout petit homme ordinaire qui s'invente une vie ordinaire grâce à internet, difficile de faire plus ringard. Mais il ne faut pas s'arrêter à ça, car on risquerait de louper des morceaux bien plus intéressants.
Globalement, Karmakanic reprend des sonorités très typées Flower Kings, soit un
Genesis modernisé, assez marqué par les groupes de la troisième vague prog (on pense parfois à Spock's Beard). Les titres qui en sont le plus caractéristiques sont parmi les plus longs logiquement : l'éponyme et Is This the End ?
Entering the Spectra offre notamment un superbe passage central au piano jazzy et un final grandiose où Göran Edman s'illustre. Quant à la huitième piste, elle suit une construction typiquement progressive en trois parties, assez classique, mais tellement bien réalisée (ces soli virtuoses en troisième partie …).
Ça, c'est donc la base de Karmakanic. Là où on dirait que le projet mené par Jonas Reingold essaye de se construire une identité, c'est en ajoutant des sonorités plus modernes, plus heavy, mais aussi plus jazzy. Vaste programme me diriez-vous. Mais force est de constater que cet étrange melting pot fonctionne plutôt bien, en particulier sur Cyberdust from Mars, et sa délirante mélodie qui n'est pas près de sortir de votre tête. Même topo sur Space Race N°3, où cet unique Heavy-Jazz-Prog offre de sympathiques mélodies spatiales, bien aidé par la voix de caméléon de Göran.
Cette même mixture est à l'origine de bons riffs sur The Spirit Remains the Same, ou sur le moment d'improvisation One Whole Half, mais dommage que le reste ne suive pas. The
Man in the Moon Cries accentue encore le côté jazzy, tandis que les claviers de Tomas Bodin créent une atmosphère cette fois oppressante, qui rappelle vaguement une musique de
James Bond.
Welcome to Paradise se charge de conclure, et ça tombe bien car il résume assez bien tout ce qu'on vient d'entendre, avec d'authentiques moments de bravoure prog (aux alentours de 6:00), mais aussi des incongruités, dont certaines clairement de mauvais goût (cf. les passages les plus funky). Ma version bénéficie en plus d'un bonus à l'intérêt discutable, nommé Loser's Game, rappelant la pop/rock américaine en version hallucinogène.
Évidemment, cet album ne peut pas plaire à tout le monde, même aux fans de prog les plus aguerris. Il nécessite d'être ouvert aux sonorités les plus étranges voire les plus ridicules tout en appréciant le rock prog classique et moderne à la fois. Un sacré grand écart cérébral qui peut filer la migraine. Le plus critiquable est bien sûr le manque total d'homogénéité, ou au moins de cohérence, entre les morceaux, ce qui rend l'écoute entière difficile.
Entering the Spectra, c'est des couleurs partout venues de l'espace, pour changer un peu des fleurs.
Pour le premier jet d'un nouveau projet, Jonas Reingold semble s'être fait plaisir en composant tout ce qui lui venait par la tête, substances hallucinogènes incluses. On sent aussi que l'identité se cherche entre plusieurs possibilités, comme rentrer dans le moule Flower Kings (sans perdre en qualité non plus), ou à expérimenter au maximum. Le disque ainsi composé a un certain charme en soi, abritant des petites perles, mais est quasiment condamné aux oubliettes à cause d'une écoute difficile à appréhender et de choix artistiques mal contrôlés.
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