Yes est entré dans le panthéon dès son troisième album,
The Yes Album, mais l’évolution du groupe ne s’arrête pas pour autant. Tony Kaye est remplacé aux claviers par le virtuose
Rick Wakeman, rejoignant un plateau déjà rempli de musiciens prodigieux. L’arrivée d’une telle personnalité pouvait autant propulser Yes vers d’autres sommets que le plonger dans des guerres d’ego et des incapacités à gérer tant d’instrumentistes doués. La réponse survient en 1972 avec
Fragile, et d’emblée on se rend compte que les égos ont quelque peu entamé la cohésion du groupe, comme le montre la présence de titres écrits individuellement, le reste étant quand même des compositions collectives.
Fragile s’ouvre sur l’un des morceaux les plus efficaces de Yes, le fameux Roundabout. Constituant l’un des premiers succès commerciaux d’un genre jusque là réservé aux initiés, ce titre est une réussite totale, emmené par une ligne de basse phénoménale, un rythme frénétique et des breaks percutants, naviguant d’un rock funky pré-redhotien à un prog plus proche du Yes Album, avec quelques passages planants, bref la perfection. Les autres titres collectifs sont aussi de gros morceaux, à commencer par South Side of the Sky avec son riff presque heavy, sa rythmique lourde et bien sûr sa structure alambiquée faite de chemins sinueux et imprévisibles pour mieux revenir au thème principal à la fin. Le dernier titre,
Heart of the Sunrise, frappe encore plus fort avec son intro vraiment heavy, faite d’enchaînements rythmiques d’une puissance incroyable et de riffs qui même sans grosse distorsion dégagent une force considérable, sans oublier les claviers assénant des notes glauques et sombres. Si le milieu du titre, plus space, peut décevoir après une telle intro, l’épisme et la qualité vocale en font un passage tout aussi digne d’intérêt, d’autant plus que la frénétique cavalcade métallique de l’intro fait un retour fracassant à la fin. Les autres titres, composés individuellement, font plus figure d’intermède que de morceaux à proprement parler, de par leur durée surtout, mais constitue de très grands moments de l’album. Citons déjà la reprise de la 4ème symphonie de Brahms, Cans and Brahms, jouée merveilleusement par le génie
Rick Wakeman qui confirme d’emblée les promesses qu’il suscitait. Les titres de
Jon Anderson sont de valeur diverse, si Long Distance Runaround constitue un bien joli passage, jouant dans le même domaine, écourté, que les gros morceaux, We Have Heaven, à l’instar de A Venture, constitue l’un des rares temps faibles de l’album, trop répétitif mais heureusement assez court. Five Per Cent Per
Nothing, la composition de
Bill Bruford, est trop courte pour être jugée et ce dernier illustre mieux ses qualités dans les titres collectifs, quant à The
Fish, la composition de
Chris Squire, son intérêt réside dans la multitude des sonorités faites seulement avec une basse, assez court mais proposant de bien jolies mélodies. La composition individuelle qui s’impose comme la meilleure est sans aucun doute celle de
Steve Howe, Mood for a Day, démontrant à l’image de Clap ses talents acoustiques remarquables, dans un domaine moins rapide et plus classique.
Même si comme l’indique peut-être le titre, la cohésion s’est fragilisée, la musique atteint sans problème les sommets du Yes Album, proposant des titres plus lourds et puissants, frôlant délicieusement le heavy. Plus que la qualité intrinsèque des morceaux, c’est avant tout la réussite dans un domaine très différent du précédent album qui surprend, Yes n’a pas cherché à faire un deuxième Yes Album et n’essaiera d’ailleurs pas de faire un deuxième
Fragile par la suite, ce dernier demeurant encore aujourd’hui l’un des albums les plus puissants du groupe et un nouveau sommet pour le prog rock.
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