Nous sommes dans la charnière entre 1988 et 1989 : «
Pop Song 89 », outre la référence chronologique évidente, a dans l’articulation entre ses accords primaires de guitare rythmique et la dissonance répétitive de la guitare soliste, en complément des chœurs féminins, un aspect brouillon maîtrisé qui, en fait de pop, évoque autant les Pixies et la déferlante grunge allant bientôt s’abattre sur le monde.
Au fond, et «
Get Up » va dans le même sens,
REM vient de mettre le doigt sur un élément clé qui tend à caractériser toutes les transitions entre la pop et le rock, à savoir que la pop la plus simple et le rock le plus agressif ont en commun, par-delà l’efficacité vers laquelle ils convergent, un socle primitif, sur lequel reposent à la fois l’évidence de la mélodie et la brutalité du rythme, même si un abîme les sépare à un certain stade de leur développement. Nettement plus doux, plus mélodieux et plus acoustique, « You Are the Everything » marque une de ces pauses paisibles que l’on retrouvera dans la dynamique d’ «
Out of Time ».
Très pop et très rock en même temps, «
Stand » s’attache à poursuivre la déclinaison d’une proximité accrue avec le grand public, tirant le meilleur parti du son de l’époque dans une prise de distance propice à l’intériorisation. Quitte à préfigurer, « World Leader Pretend » pose nettement les jalons de «
Losing My Religion », tant sur le plan de la mélodie qu’au niveau des instruments. « The Wrong Child » et « Hairshirt » se démarquent par l’absence de section rythmique, privilégiant les sons de cordes aiguës. Puis «
Orange Crush », plus rock, revient à la batterie ainsi qu’aux paroles simples à retenir, et la lenteur agressive de « Turn You Inside Out », non dénuée d’accent soul, laisse deviner une zone d’affinité avec
Soundgarden – tandis que l’alternance entre plages paresseuses et regain de distorsion rythmée que nous offre « I Remember California » penche davantage du côté de
Nirvana, sans jamais atteindre la violence des uns ou des autres.
Résumons-nous : ayant lentement évolué du post-punk au rock qui se souvient des années 1960,
REM a vite établi la cohérence de son inspiration, servie par la spiritualité discrète du chant de Michael Stipe ; l’effet mosaïque dans les tons ocres de «
Lifes Rich Pageant » introduisit donc, au bon moment, le juste emploi de la différence sur un même projet. De la différence au contraste, il n’y avait qu’un pas à franchir, qui permettrait à
REM d’évoluer du rythme des chansons au rythme de l’album. Il en ressort que «
Green » demeure, avec le recul des années et décennies, comme la meilleure passerelle qu’il était possible d’établir entre deux excellents opus, l’un passé et l’autre à venir, excellents pour des raisons très différentes : «
Document » et «
Out of Time »(le chef d’œuvre «
Automatic for the People » à leur horizon).
Bien sûr, le grand public a pu passer à côté de «
Document », et en un sens c’est dommage, car le grand public est capable d’apprécier le rock à l’état brut. Bien sûr, certains auditeurs attachés à la première période de
REM n’aiment pas «
Out of Time », et en un sens c’est dommage, car son caractère accessible résulte d’un travail de fond que seul un groUpe expérimenté aurait pu produire. Mais, entre les deux, «
Green » fournit encore des arguments favorables et à l’un, et à l’autre.
D. H. T.
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