Les choses ne s’arrangent pas, niveau interprétation vocale. Bernard Sumner et les autres manquaient de recul, c’est manifeste. Sinon ils auraient réalisé qu’avec une mélodie telle que celle de « Love Vigilantes », légère au point de rendre agréables ses notes de tristesse, il y avait moyen de faire mieux. Pourtant tout le reste fonctionne, le rythme assuré, les guitares nerveuses, le texte fort de simplicité.
Et puis l’hommage au soldat mort à la guerre fait contrepoids, en complément de l’esprit pacifiste du rock, esprit pacifiste qui est tout à l’honneur des musiciens : il est bon, évidemment, de célébrer la paix, de l’appeler de tous ses vœux, de vouloir un monde où la coopération prendrait le pas sur les conflits ; mais, face à la fatalité de la guerre, il est également juste de respecter la condition et la mémoire de ceux qui se sacrifient pour défendre leur pays. En somme, c’est ce que dit la chanson : « When I walked through the door, my wife she lay upon the floor and with tears her eyes were sore. I did not know why, then I looked into her hand and I saw the telegram that said that I was a brave, brave man but that I was dead ».
Toute opinion devrait prendre en considération, dans un même regard autocritique, sa propre part d’idéalisme et sa propre part de réalisme. Ce principe s’applique aussi quand on apprécie une chanson pour ses qualités musicales, la manière dont l’interprétation lui rend plus ou moins justice, et ce que cette même chanson aurait pu être avec une approche différente. Que l’on écoute, pour s’en convaincre, les versions folk d’Iron & Wine, de Duncan Sheik, de Laura Cantrell ; la version country punk d’Oyster Band ; les versions rock de Poi Dog Pondering, de Comet Gain ; la version dark wave d'Hungry Lucy.
Il est dommage de voir qu’un groupe passe à côté du potentiel énorme de ses productions, et rassurant de partager ce constat avec ceux qui, par la suite, ont su lui rendre hommage.
New Order a une autre manière, propre au groupe, de laver son linge sale, et cette manière passe par les compilations, utiles chez eux. Comparons deux versions de « The Perfect
Kiss », celle de l’album et celle de «
Substance 1987 ». Alors que la première s’arrête trop tôt, la deuxième, en jouant les prolongations, exploite à fond sa richesse instrumentale, électrique et électronique. Admettons que l’argument porte sur la durée, que cela ne veut rien dire en soi. Maintenant, comparons deux versions de «
Sub-Culture », celle de l’album et celle de «
Substance 1987 ». Il n’y a pas photo, entre l’amateurisme vocal de la première (ce sont les termes les plus appropriés, on dirait un mauvais karaoké), et la justesse de la deuxième, sublimée par les chœurs féminins en mode soul.
Oui mais, il y a un mais : contrairement aux errances et au flou artistique de « Power, Corruption & Lies », la performance de «
Low-Life » traverse toutes les compositions. Que ce soit pour le calme olympien de « This Time of Night » (où Bernard Sumner pose bien sa voix), le revival punk de « Sunrise » (qui préfigure «
Crystal »), la beauté instrumentale d’ « Elegia » (toute une ambiance), la piste de danse bruitiste de « Sooner Than You Think » (soit le tube de l’été des années 1980 revisité par des fans du Velvet Underground), l’efficacité jouissive des boucles de synthétiseur sur « Face Up » (surtout au début), on a toujours une bonne raison d’admirer la matière, à défaut d’en approuver la finition. Ainsi soit-il.
D. H. T.
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