"La lumière a son temps, qui lui fut mesuré ; mais le royaume de la Nuit est hors le temps et l’espace." (
Novalis)
Formé de
Sivert Hoyem (chant), Robert Buras (guitare), Frode Jacobsen (bass),
Madrugada est un groupe de rock norvégien créé en 1995. Dès la sortie du premier album
Industrial Silence (2000)
Madrugada connaît un vif succès et squatte régulièrement le sommet des charts norvégiens avant de séduire le reste de l’Europe avec la sortie, en 2001, du très beau
The Nightly Disease. En 2002 sort l’électrique et plus controversé
Grit suivit en 2005 du luxueux
The Deep End. En 2007, le talentueux guitariste Robert Buras disparaît alors que le groupe venait à peine de finir l’enregistrement du nouvel album, lequel sortira finalement en 2008 et sera sobrement titré
Madrugada.
La première chose que l’on peut dire sur ce disque c’est qu’il fait honneur à une discographie déjà exemplaire. On y retrouve avec bonheur la marque de fabrique du groupe, à savoir un blues rock mélancolique et bleuté empruntant autant à l’américana (
16 Horsepower…) qu’à Nick Cave, au Velvet Underground et R.E.M., sans oublier quelques clins d’œil aux sonorités espagnoles que suggèrent leur patronyme. Le tout étant enrobé d’une bonne dose d’ambiances sombres et mélancoliques telles que l’on peut en rencontrer chez cette autre formation norvégienne, aujourd’hui disparue mais déjà considérée comme classique dans son pays :
Midnight Choir. Ces derniers, bien qu’officiant dans un syle une peu plus pop, partagent avec
Madrugada une démarche similaire : un attrait pour la musique américaine, du gospel au folk; de fréquents déplacements aux Etats-Unis pour les enregistrements et une écriture limpide, précise ainsi que des thématiques très personnelles et rarement amusantes (amours désenchantés, solitude, urbanisme décadent…)
En ce qui concerne la description du contenu de ce cinquième album des norvégiens, il est difficile de ne pas céder aux sirènes du "track by track" tant chaque titre est parfait (non, je n’exagère pas !). Prenons le titre d’ouverture "Whatever Happened to You ?", longue introspection soutenue par une rythmique lente, bien marquée et une guitare électrique comme épine dorsale, parfois douce et effacée, parfois plus frontale et saturée mais toujours terriblement expressive. Robert Buras était vraiment un formidable musicien que l'on a pas fini de regretter.
Madrugada c’est aussi la voix chaude et profonde de
Sivert Hoyem (lequel poursuit également une belle carrière solo), quelque part entre Nick Cave, Michael Stipe (R.E.M.) et Léonard Cohen. Sur ce premier titre il faut l’entendre, sur un ton un peu détaché, conter je ne sais quelle désillusion, c’est tout bonnement bouleversant. D’ailleurs je trouve un peu dommage que les paroles ne soient jamais jointes aux livrets, mais bon, c’est un détail, alors passons. "Whatever Happened to You ?" s’achève dans une lourde électricité et c’est le pêchu "The Hour of the Wolf" qui prend le relais avec une rythmique enlevée, voire dansante, aux accents ispaniques avant de s’effacer devant le majestueux et torturé "Look Away Lucifer". Et là, instantanément, c’est le frisson : refrain simple et ensorcelant, une tension sous-jacente qui finira par exploser dans un éclat saturé et noisy. Ce titre ne se décrit pas, il se vit et peut même remplacer, pour certains, un bon nombre de séances de psychothérapie onéreuses. "Look Away Lucifer" est assurément un des meilleurs titres que le trio norvégien ait écrits et la perle (noire) de cet album. Au sortir de ce morceau on se sent libre, tout simplement. La preuve que pour chasser le(s) démon(s) il n’est pas nécessaire de faire dans la démesure saturée.
Avec une grande fluidité, titre après titre,
Madrugada nous hypnotise à coup de ballades comme le doux "Honey Bee" ou le pop et mélodieux "What’s on your Mind ?" Et toujours, en toile de fond, cette mélancolie charriée par le chant de
Sivert Hoyem et de subtiles arrangements (par exemple les cordes qui accompagnent Highway of Light). D’ailleurs, parlons-en des arrangements : tout est millimétré chez
Madrugada, au détail près. C’est presque mathématique ! Pas de place ici pour l’à-peu-près et l’improvisation. Un soin maniaque est apporté à tous les niveaux, chose qui pourra peut-être déranger certains, car dans le rock on aime bien un peu de spontanéité et d’imprévu. Ceci dit, la production est parfaite, ni trop lisse ni trop garage et les discrètes mais essentielles interventions d’orgue, de saxophone, de chœurs se fondent si bien avec l’ensemble qu’à la première écoute on ne se rend pas forcément compte qu’elles sont là. Bref, un travail de professionnels.
Ce qui nous amène au dernier morceau, "Our Time Won’t Live That Long" qui tranche avec tout ce qui vient d’être dit. Ce dernier titre est un hommage au guitariste Robert Buras. Ici pas d’arrangements, pas d’overdubs ni de corrections intempestives après coup, juste le guitariste accompagné d’un orgue en toute fin de morceau. Une chanson blues dans la plus belle tradition : un homme, sa guitare, sa vie. On se tait et on écoute, le cœur en miettes…
Il y aura toujours des mauvaises langues pour dire que
Madrugada c’est pas original, que ça ressemble à maints autres groupes (notamment les
Tindersticks et
The Walkabouts). A ceux-là je réponds :
Madrugada c'est la classe alliée à la simplicité ! Oui, ce groupe n’a pas inventé la poudre ! mais je connais peu de formations qui, comme eux, ont réussi à signer plusieurs albums à chaque fois très bons sans se montrer répétitifs ou redondants et parvenir à toujours transmettre, au travers de leur musique, des émotions profondes sans tomber dans la mièvrerie. De plus, comme "
Madrugada" est l’album le mieux construit et qui démontre le plus de maîtrise et de sensibilité, je lui colle un 20/20. A un tel niveau, on ne discute plus !
Bl.
Je suis en train d'écouter les vidéos. J'ai eu quelques frissons dans le dos au début de l'écoute de la vidéo. Je pense que je vais le rajouter dans ma listes des groupes favoris.
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