En cette année 1968, le monde a bien changé. Quelques pavés jetés de-ci de-là, en France, en Tchécoslovaquie (état formé de l'actuelle République Tchèque et de la Slovaquie, pour ceux qui n'étaient pas né à l'époque), la révolte est dans l'air du temps. Même notre bon vieux Rock'n'Roll n'échappe pas à la règle. Les nouveaux héros ont les cheveux longs, la barbe touffue et pleine de fleurs, et ils parlent d'amour et de paix en fumant des cigarettes roulées dans du papier qui fait rigoler. Ces nouveaux héros ont pour nom Rolling Stones, Beatles, toute la British Invasion,
Bob Dylan, même les Beach Boys, ancienne vedette de la Surf Music, se compromettent dans les expérimentations psychédéliques, certains fréquentant même des membres de la Famille Manson. Et les vieilles gloires me direz-vous?
Buddy Holly s'est crashé en avion,
Eddie Cochran en taxi,
Jerry Lee Lewis, depuis l'annonce de son mariage avec sa cousine de 14 ans, est tricard aux States,
Chuck Berry, depuis des vilaines rumeurs sur une affaire de prostitution de mineures (décidément!), est lui aussi tricard (tu parles, en plus, on s'est aperçu qu'il était Noir!),
Gene Vincent, quand à lui, minée par la mort sous ses yeux de son ami
Eddie Cochran, est devenu alcoolique, tentant de ressortir pathétiquement diverses versions de Be-Bop-A-Lula, n'égalant jamais la version originale de 1956.
Et le King,
Elvis, qu'en est-il de son cas?
Elvis n'a plus de King que le surnom, égaré à Hollywood, où il accumule les nanars à raison de 4 par an, avec des scenarii (ou scenario? Je ne m'en rappelle jamais!) d'une indigence rare; dans certains de ces films, on peut le voir en cheikh arabe, en aviateur, en boxeur et tout ça avec une guitare près de lui quand lui vient l'idée de pousser la chansonnette. Ses chansons, justement, parlons-en; un seul exemple, mais un beau, l'une de celles-ci s'intitulant "Il n'y a pas de place pour danser la rumba dans une voiture de sport"! Je l'ai volontairement traduite en Français pour que vous compreniez mieux... Édifiant!
Elvis n'est plus rien, même pas un acteur. Pas un seul concert depuis 1961, plus un seul 45 tours dans les charts, la couronne du Roi du Rock est à terre. Et pourtant, personne ne va la ramasser. Parce qu'ils savent tous que si
Elvis voulait s'en donner la peine, il mettrait tout le monde d'accord. Mais, ayant disparu des radars depuis de longues années, il fallait frapper fort pour ce "Comeback".
Elvis propose à son manager, le fameux Colonel Tom Parker, l'idée de faire un break dans sa filmographie, et de faire une émission de télé à une heure de grande écoute pour Noël. Parker est d'accord, mais il croit qu'
Elvis veut faire une émission DE Noël, un tour de chant avec Jingle Bells, Let it Snow, les rennes, le Grinch et Cie. Or, ils ont contacté un certain Steve Binder, grand amateur de Rock et particulièrement du
Elvis des premières années, pour réaliser l'émission. Et pour lui, il est hors de question de faire un tel spectacle affligeant. Le projet de Binder, c'est de remettre la couronne de Roi du Rock sur la tête d'
Elvis.
Binder alla directement voir
Elvis et lui parla franchement, chose que personne n'osait faire. Il lui conseilla d'aller se promener sur Sunset Strip pour voir si on le reconnaissait.
Elvis y alla et revint sonné, personne ne l'ayant interpellé. Binder lui dit alors qu'il fallait qu'il retrouve la hargne de ses débuts, ce qui l'avait fait sortir du lot, et de renouer avec son ancien répertoire, au moins pendant une partie de l'émission.
Elvis était d'accord, mais il avait peur de ne plus être à la hauteur. Un qui n'était pas d'accord du tout, c'était le Colonel, humiliant Binder en l'appelant Bindle, bien lui faire comprendre que son nom à lui était inconnu, alors que Presley & Parker, pardon, c'est d'un autre niveau.
Mais de plus en plus,
Elvis accordait sa confiance à Steve Binder. Et le show fut ainsi tourné en quelques jours.
Elvis joue dans des chorégraphies des nouveaux morceaux créés pour le show dont le somptueux "
If I Can Dream" qui conclura, où
Elvis lâche les chevaux pour une performance vocale hallucinante. Une fausse scène est aussi montée, où
Elvis reprend, sans public, ses vieux succès des Fifties. Mais le clou du spectacle, c'est lorsque le King monte sur une scène au milieu des invités, vêtu de cuir noir, aminci, bestial, faisant monter la température de la salle avec ses déhanchements suggestifs. Il rejoint ses potes Scotty Moore et D.J. Fontana (ne manque que Bill Black pour reformer la fine équipe des sessions au Sun Studio), Joe Esposito et
Charlie Hodge, se marre, fait des faux départs de chansons, raconte des anecdotes de tournées, échange sa guitare avec celle de Scotty, fait hurler les filles pendant "
One Night" et se prend pour un soliste sur "Baby, What You Want Me To Do?". Du grand, du très grand
Elvis...
Jusqu'au bout, Parker fit ch... tout le monde, mettant systématiquement son véto à toute proposition de Steve Binder, jusqu'au moment où
Elvis le cloua sèchement: "Les contrats, c'est vous, la musique, c'est moi, O.K.?". Ce fut la première et dernière fois qu'
Elvis s'opposa au Colonel Parker.
Enregistrée pendant l'été, l'émission fut diffusée le 3 décembre 1968. À la fin de ce magistral coup de poker gagnant de l'indétrônable "King of Rock'n'Roll",
John Lennon, venu spécialement aux Etats-Unis pour voir le show en direct hurla: "YEAH! The King is Back!".
Keith Richards déclara qu'il sortit du show "sonné" par la performance d'
Elvis.
Elvis avait définitivement recoiffé sa couronne ce soir-là. Plus personne n'osa le contester. Ayant retrouvé sa stature, il décida qu'il était temps pour lui de retrouver ses fans, via les concerts, et de limiter ses apparitions cinématographiques. Parker l'envoya donc à
Las Vegas, où
Elvis s'enferma dans les casinos, où il chantait pour des magnats du pétrole venus s'encanailler dans la ville du vice (et pour des cachets monstrueux). Il s'enferma également dans une profonde dépression dont il pensa sortir en prenant des cachets...
Il fallut des années avant que l'on puisse voir "
Elvis-The '68 Comeback Special" en intégralité. Encore un coup du Colonel qui avait négocié les droits de diffusion. Sacré Tom, quel farceur...
HotRodFrancky
Combien peuvent se targuer à l'heure actuelle de posséder une telle aura ?
Merci.
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