L’inconstance est un signe d’immaturité. Si c’était le seul problème de
Ghinzu, il serait déjà rédhibitoire au bout de trois albums, dont un bon, un assez bon et un moyen, autrement dit : au terme d’une régression en trois actes. À ce défaut s’ajoute celui de la sophistication, qu’aucune qualité assez solide ne parvient à rattraper chez eux.
Car leurs qualités, au bout du compte, sont surtout d’ordre technique : ces musiciens savent composer, arranger, interpréter, jusqu’à faire preuve d’une certaine inventivité même si ce ne sont pas des virtuoses, dotés d’un talent qui reste un petit talent.
On ne peut pas dire non plus qu’ils se dispersent : entre pop, rock, musique électronique et références (certes simplistes) à la tradition classique, ils flottent, et on ira même jusqu’à reconnaître que leurs projets révèlent une certaine unité, ce qui devient de plus en plus extraordinaire au sein d’une industrie aussi délétère que l’industrie du disque, au niveau populaire, des années 2000 et 2010.
Cela montre que l’inconstance et la dispersion sont deux problèmes différents.
Ghinzu ne se disperse pas, donc, mais fait preuve d’inconstance, comme un animal qui retomberait toujours sur ses pattes au terme d’acrobaties aussi peu convaincantes les unes que les autres.
La cohérence et l’unité chez eux relèvent essentiellement du genre musical (en ce qu’ils alignent, non pas dix influences, mais trois ou quatre, plus ou moins les mêmes) et du timbre instrumental (un peu de guitare saturée, un peu de synthé, un peu de piano, un peu de chant paresseux, un peu de parole, un peu de cri). Rien de fracassant, mais cela suffit pour produire des disques qui adhèrent à la route.
Leur grande faiblesse, au fond, tient à ce que, au lieu de préciser à chaque fois le détail de leur cahier des charges sur la base d’une idée principale, ils n’arrêtent pas, au contraire, de vouloir combiner et recombiner leurs quelques atouts dans des chansons composites, si bien qu’à l’arrivée on ne sait pas très bien où ils veulent en venir.
Certes, il y a, dans les grandes lignes de la structure, un schéma assez simple à identifier. Néanmoins, dès que l’on cherche à creuser davantage, on tombe toujours sur des mosaïques difformes qui, si elles ne trahissent jamais l’esprit de l’ensemble, donnent de ce dernier une image dévoilant quand même un manque d’assurance.
Ce dernier n’est pas technique, encore une fois, car à partir du moment où les titres sont composés, le groupe investit toute son énergie dans le rendu final, du moins toute l’énergie qui correspond à l’intention de départ, aussi floue et approximative soit-elle. Et soulignons que cette énergie avoisine fréquemment celle du metal, bien que la comparaison se réalise rarement dans son entièreté.
D’où une posture productiviste, celle de gens qui assument ce qu’ils font même si ce qu’ils font n’a rien de bien enthousiasmant, sauf peut-être pour eux-mêmes (et encore, on peut en douter), pour un public sympathique et conciliant, peu importe qu’il soit chroniqueur ou non (évitons de trop accabler leurs fans sincères), et pour des critiques journalistiques imprégnés d’une sociologie culturelle, aussi nombriliste que consensuelle, propre à les pousser à défendre systématiquement tout ce qui bénéficie de l’estampillage « rock indépendant » (ceux-là, on peut les accabler toute leur vie car c’est de la mauvaise herbe, de l’herbe qui pousse dans les salons mondains névrotiques).
Ainsi « Cold Love » juxtapose tempo rapide + synthé + distorsion / son dépouillé + chant saccadé / tempo plus lent + essoufflement / tempo de nouveau plus rapide + accords de piano + voix suraiguë (et, désolé de le dire aussi brutalement, la voix d’un homme ne devrait jamais ressembler à celle d’une poule ; idem, sur ce point, en ce qui concerne « Dream Maker »).
La mélodie de « Take It Easy » semble d’abord imprimer ses pas dans ceux de chansons à la fois optimistes et mélancoliques telles qu’ « Always the Sun » des Stranglers, mais ne va pas non plus au bout de son élan initial, lorgnant plutôt vers la grisaille britpop, faute de goût d’ordre climatique. L’orgue de « Mother Allegra » amène une pause solennelle qui fait du bien, sauf que la lenteur ambiante aurait mérité, du coup, une voix plus grave et moins nasillarde.
«
Mirror Mirror », pendant plus d’une minute, prépare son élan comme pour sauter loin ou pour frapper fort, ce que le dynamisme de la deuxième minute s’attache à confirmer, sauf que la suite de la chanson marque une accalmie que l’on n’attendait pas : il aurait fallu continuer dans la violence pour éviter que le morceau, une fois de plus, ne se casse en deux.
Contrairement à son titre, « The End of the World » pèche par excès de légèreté ; pour atteindre un tel degré de niaiserie anecdotique et inutile, ils ont dû écouter
Maroon 5 en boucle ; après, ils peuvent hurler, faire plus de bruit vers la fin, peu importe. « This Light » réussit une synthèse remarquable entre la somnolence et la platitude.
On sent que la tempête va de nouveau sévir quand « This War Is Silent » prépare ses munitions et, effectivement, pour une fois la chanson ne sent pas trop le pétard mouillé, bravo (enfin, bravo, c’est vite dit). «
Joy, Success, Happiness », pas évident de les retrouver, dans l’ordre ou dans le désordre, mais le morceau fournit parfois un exemple de cette proximité intéressante avec le metal que l’on avait évoquée plus haut. Le cauchemardesque et heureusement succinct « Birds in My Head » s’ajoute à la liste, déjà longue, des motifs de perplexité.
Sur ce, on en vient aux deux titres les plus réussis de l’opus : « Kill the Surfers », qui progresse dans la direction du «
Ghost Rider » de Suicide, d’une part, et de la scène EBM, d’autre part (enfin une synthèse réussie entre le rock et l’électro, le seul exemple de leur discographie qui rende hommage à leurs compatriotes de
Front 242), ainsi que l’instrumental « Interstellar Orgy », relativement constant, lui.
Question d’époque, de génération sans doute, mais avant tout de contenu,
Ghinzu, avec le recul, rejoint la liste des groupes qui, à l’instar de
Kasabian ou de The XX, ont suscité la déception en deux ou trois temps. Pourtant, aucun de leurs essais ne manque de matière. C’est au niveau des postulats, de l’impulsion première, que le bât blesse. Avant de produire, il vaut mieux être inspiré ; apparemment, cette évidence n’en est pas une pour tout le monde.
D. H. T.
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