Le retour à un son plus électrique, par rapport au précédent «
Automatic for the People », s’impose dès «
What's the Frequency, Kenneth ? » On a même droit à un solo de guitare, certes discret, car cela n’a jamais été la spécialité de Peter Buck. Non pas qu’il n’en soit pas capable, mais il n’est pas attiré par ce genre de performance. Autre aspect intéressant de ce morceau, où Michael Stipe, comme à l’accoutumée, s’impose brillamment dès les premières paroles : on entend de temps en temps des accords qui penchent vers le hard rock voire vers le heavy metal, et c’était déjà, par conséquent, le moment de parier à l’époque sur la tournure grunge de cet opus, qui se démarquerait ainsi de «
Document », son référent le plus proche, à ce stade, en termes d’état d’esprit.
La voix plus grave du chanteur sur «
Crush with Eyeliner », voix étouffée par des effets, ainsi que le caractère à la fois blues et primaire du thème, servi par un son simultanément irrégulier, brouillon et maîtrisé, à égale distance du hard et du punk, donnaient raison à ceux qui avaient vu l’album venir de loin. Ce n’est pas
Nirvana, mais cela s’en rapproche.
Jusque-là, on n’avait pas tellement évoqué les affinités, par ailleurs, entre
REM et
ZZ Top, mais les saccades entre tradition et futurisme, toujours imprégnées de blues enroué, au détour de « King of Comedy », incitent à penser qu’il y a effectivement un axe, ce qui est cohérent, puisque
ZZ Top fait partie des nombreuses références ayant progressivement contribué à l’émergence du grunge, au même titre, d’ailleurs, que
Neil Young qui a beaucoUp influencé Michael Stipe. Autre allusion repérable dans « King of Comedy », via les chœurs féminins cette fois-ci : les Breeders, alter ego justement féminin des Pixies.
Même le retour du piano dont nous gratifie le plus calme « I Don’t Sleep, I Dream » ne s’éloigne jamais trop des gros sons de guitare bien huileux. La section rythmique, guitares incluses, se déchaîne comme jamais quand vient l’explosif « Star 69 », au point d’évoquer « Smells Like Teen
Spirit ».
On sentait également venir l’accalmie juste après : la valse de «
Strange Currencies » (proche d' «
Everybody Hurts »), la soul de «
Tongue » (dont le texte érotique est dédié au cunnilingus), le reggae de «
Bang and Blame » (dont la mélodie se souvient de «
Losing My Religion »).
Jusqu’à ce que le refrain brut de décoffrage de ce dernier rectifie le tir, on pensait que le disque comprendrait deux parties distinctes, une plus rock et une plus slow, mais en fait non, le grunge revient avec « I Took Your Name ». Il y a tellement de distorsion au début de « Let Me In » (chanson écrite pour Kurt Cobain) que la signature définitive du disque se précise dangereusement. On attend le moment où le feu va reprendre, où la batterie va tout fracasser. Dans l’intervalle, c’est l’orgue de «
Tongue » qui revient, habileté structurelle propre à entretenir la confiance des auditeurs dans l’architecture du projet.
En fait de batterie, cette dernière fait effectivement son retour, oui, mais grâce à « Circus Envy », au son d’une rare agressivité, un pur moment de plaisir. Pour finir, « You » tient le juste équilibre, dans les hauteurs, entre une rage contenue et un calme tourmenté.
D. H. T.
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