Le 17 juillet 2005, dernier jour du festival d'été de Québec. Les
New York Dolls, reformés un an plus tôt par David Johnasen, Sylvain Sylvain et Arthur Kane (décédé entre-temps d'une embolie pulmonaire) sont à l'affiche au Parc de la Francophonie. Convaincu qu'était arrivé le jour où j'allais devenir un fan de ce groupe que je connaissais encore très peu, je me rends sur les lieux pour apprendre que les deux groupes présents ont inversé l'affiche pour une raison que j'ignore toujours. Peut-être à cause de leur horaire de tournée, les new-yorkais ont choisi de passer les premiers et je suis arrivé trop tard. Sept ans plus tard, je regrette amèrement d'avoir raté leur prestation.
Le groupe nait en 1970 quand le guitariste d'origine égyptienne Sylvain Sylvain (Sylvain Mizrahi) et le batteur Billy Murcia, tous deux anciens membres d'un groupe nommé The Pox recrutent le bassiste
Johnny Thunders (John Genzale). Après plusieurs changement de personnel, Sylvain apprendra la guitare à Thunders et le groupe sera complété par le bassiste Arthur « Killer » Kane et l'incontournable chanteur David Johnasen. Les musiciens composent la base de leur répertoire dans l'environnement d'un atelier de réparation de poupées appelé New York Doll Hospital et font quelques concerts dans leur région dans des endroits sordides. Ayant du mal à s'imposer et à dénicher un contrat de disques, ils choisissent de tenter leur chance en Angleterre où ils font une meilleure impression. Mais au moment où l'on discute des termes d'un contrat avec la petite maison Track Records, Billy Murcia meurt d'une surdose d'un cocktail d'alcool et de médicaments et le groupe décimé rentre à New-York où ils auditionnent un nouveau batteur. Outre Marc Bell, qui sera plus tard connu sous le nom de Marky Ramone, deux amis nommés Jerry Nolan et Peter Criscuola se présentent à cette audition. Nolan sera choisi et Peter Criss aura plus de chance la prochaine fois.
La formation décroche finalement un contrat avec un gros joueur, Mercury Records, qui cherche un groupe underground à imposer au mainstream. La production de ce premier album sera confiée à un musicien bien connu,
Todd Rundgren, ancien guitariste de
Nazz qui fait maintenant carrière solo et l'enregistrement a lieu au célèbre studio Record Plant East de New-York au début de l'année 1973. Aux dires du producteur, les membres du groupe ont tous apportés leur contribution au mixage du disque. Plusieurs éléments pop comme du piano, saxophone, claviers et clappements de mains seront néanmoins ajoutés judicieusement à la mixture. Et je dis judicieusement parce que ces éléments remplissent bien la mission de rendre la formation plus accessible au marché commercial sans pour autant commettre le sacrilège de noyer l'essence crue et thrash de la musique du groupe.
Un bon vieux riff rock and roll en 4/4, une descente de piano, et voici David Johansen qui hurle de sa voix rauque l'arrivée de ce superbe disque, en pleine période progressive, le 27 juillet 1973. «Whaaaaaaaaaaouuuuuuuu, Yeah Yeah Yeah, No No No No No No No No!» On ne donne pas dans l'intellectualisme ici, on offre du sale rock and roll qui détonne. Johansen, qui peut parfois rappeler
Mick Jagger, n'a rien d'un grand chanteur sorti du conservatoire. C'est plutôt un entertainer à grande gueule qui pèse bien ses mots à la manière d'un voyou. Très rafraîchissant pour l'époque! En cette année du Dark Side of the Moon, les
New York Dolls sont à la fois tournés vers le passé et l'avenir. Le groupe refuse obstinément de laisser mourir le rhythm and blues et le rock and roll et leur apporte deux attitudes nouvelles, les pas encore nommées Punk et Glam. L'album est une succession de pièces de party de trois à quatre minutes d'une énergie primaire extrêmement contagieuse et aux titres évocateurs tels que « Looking for a
Kiss », « Frankenstein » et « Thrash ». En ouverture, la très rock and roll « Personnality
Crisis » qui demeure à ce jour la pièce phare du groupe est suivie de « Looking for a
Kiss » qui inspirera le nom d'une autre très célèbre formation new-yorkaise. Presque tous les morceaux sont construits sous le même moule couplet-refrain-solo, une formule indémodable qui convient autant aux pistes de danse qu'à la voiture, à laquelle le groupe impose énergie et conviction. Ressortent du lot la plus sirupeuse «
Lonely Planet Boy » qui est néanmoins une favorite des fans, la plus dansable «
Subway Train » et «
Pills », une reprise de
Bo Diddley. Et on garde le meilleur pour la fin en concluant ce 42 minutes de pur bonheur avec deux de mes préférées, «
Private World » et «
Jet Boy ».
Ceux qui ont des yeux à la place des oreilles ou qui n'apprécient pas particulièrement le rock cru et simpliste et l'attitude punk diront que l'influence indéniable des Dolls se situe plus au niveau visuel qu'auditif. La pochette frappe fort en effet avec ce logo rose écrit au gros rouge à lèvre et le look travesti des musiciens. Dois-je vous rappeler qu'on est en 1973? Ces gars-là n'avaient pas peur de se faire casser la gueule et poussent à l'extrême l'audace des
Lou Reed et
David Bowie, impossible de ne pas les remarquer. Notons aussi que la disposition des membres sur ce sofa est révélatrice de la séparation prochaine du groupe. Johanssen tourne le dos à Thunders, s'isolant d'un côté avec Kane et Sylvain (qui reformeront tous trois le groupe en 2004) du duo Thunders-Nolan qui formeront les
Heartbreakers en 1975.
Ce premier album ne laisse personne indifférent, les lecteurs de Creem les nommeront à la fois meilleur et pire nouveau groupe de l'année. Mais le succès commercial espéré par Mercury ne sera pas au rendez-vous, l'album n'atteindra que la position 116 des charts américains. Exténué par le peu d'égards des musiciens à leur endroit et leurs problèmes de drogue, n'ayant pas de précédents comme Mötley Crüe et
Guns N' Roses pour les convaincre d'être patients et d'investir d'avantage dans la promotion, le label les abandonnera à leur déchéance comme un vieux déchet au terme de leur contrat de deux albums. Grave erreur sans doute, ce disque est aujourd'hui considéré comme un des meilleurs albums rock de tous les temps et l'ultime album protopunk. Le groupe est reconnu comme précurseur de la scène new-yorkaise du CBGB, qui produira entre autre les Ramones et
Blondie, et la référence numéro un des futurs mouvements punk et glam, notamment pour l'influence qu'ils ont eu sur Steve Jones,
Ace Frehley, Nikki Sixx et Axl Rose.
Dernier argument pour conclure, l'achat de ce disque vous coûtera trois fois rien, vérifiez par vous-même!
Cucrapok
Je relis avec plaisir cette chronique après la lecture de la bible PLEASE KILL ME que tu dois absolument te faire, Mike, j'insiste ! Le livre m'a permis de vraiment comprendre (même si tu le dis bien, je n'avais pas réalisé à quel point en fait) que ce groupe est MAJEUR dans l'histoire du Rock'N'Roll. L'album n'est arrivé que bien après mais les Dolls étaient hyper connus bien avant et toute la scène RNR était sur le cul car ils étaient uniques musicalement et esthétiquement. Malcom McLaren qui était à NYC à cette époque a managé la fin de leur carrière (c'est d'ailleurs lui qui a bousillé le groupe) et il avait tout compris, puisqu'en rentrant à Londres, il a créé de toutes pièces un autre groupe sur le modèle complet des Dolls, groupe qui n'était autre que les Sex Pistols... Le bouquin m'a aussi donné envie d'écouter le "Blank Generation" de Richard Hell, pas encore eu le temps ! Tu le connais ?
J'ai le Blank Generation depuis quelques mois, je le qualifierai pas de Majeur mais il est plutôt bon. Je dirais que la moitié des titres sont biens rock and roll et très à mon goût alors que l'autre moitié est plus art rock et moins ma came. Ça vaut sans problème les 5 dollars qu'il m'a coûté et Sandrine devrait trouver que t'as bon goût mais si t'as toujours pas le deuxième NY Dolls Too Much Too Soon, je te recommande plutôt celui-là encore une fois! :)
Le Too Much Too Soon vient de rentrer dans ma collec' ;-) Nice de relire ce texte à cause duquel j'ai plongé dans cette scène, tu vois j'en suis pas sorti ! Par contre toujours pas écouté le Blank Generation...
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