L’album commence mal : le rythme d' « Eat Y'Self Fitter » paraît prendre son élan pendant six minutes sans jamais sauter, le son est pauvre, le recours à la répétition est simpliste et donc abusif, les voix ont des intonations ridicules, inutilement théâtrales pour un texte décousu et sans intérêt, qui passe du coq à l’âne. Du reste, on sait que la dramatisation à outrance a toujours des conséquences préjudiciables à l’écoute d’un disque, agissant comme un repoussoir.
La suite s’avère nettement meilleure quand « Neighbourhood of Infinity », sur un rythme assuré, déploie saturation et discordance sans s’étaler outre mesure. Du coup la présence de Mark E. Smith n’a plus l’air aussi envahissante que quelques minutes auparavant, pour une fois il donne l’impression de vraiment faire partie d’un groupe, au lieu de maintenir ce dernier prisonnier de sa vision d’auteur prétentieuse autant que surestimée par des critiques dont on se demande vraiment ce qu’ils ont dans la tête. Quand The Fall veut faire de l’art, c’est pour le pire ; quand leurs chansons vont franchement vers le punk, c’est pour le meilleur.
Après le mauvais suivi du bon, comment se situe « Garden » ? Entre les deux, mais plutôt du mauvais côté. Il faut supporter pendant huit minutes l’ambition littéraire et poétique du propos, qui s’exprime au détriment de la musique, laquelle résiste essentiellement par les variations d’intensité de la section rythmique, et au final les meilleurs passages sont ceux pendant lesquels Mark E. Smith comprend qu’il ferait mieux de se taire : dommage que cette compréhension ne lui vienne qu’à la fin de la chanson.
Heureusement, la guitariste et chanteuse Brix Smith amène sa sensibilité pop pour un « Hotel Blöedel » simple et rafraîchissant, où l’autre égocentrique de chef, dans un élan de bonté, permet à son épouse de s’exprimer pleinement, même s’il se croit obligé de glisser quelques paroles de son cru dont on se passerait bien.
« Smile », en revanche, montre Mark E. Smith sous un jour bien plus convaincant, car l’agressivité de la voix et celle du reste du groupe s’affrontent et s’équilibrent mutuellement, ce qui rend lancinant, dans le bon sens, l’aspect obsessionnel des instrumentations.
« I Feel Voxish » passe encore mieux, musicalement parlant, toujours pour la même raison invoquée au début : grâce à la proximité du punk rock (se reporter aux titres bonus de l’Expanded Edition pour avoir quelques surprises qui valent le détour), et aussi parce que le parti pris répétitif habituel s’enrichit de variations mélodiques opérant à tous les niveaux. Cela démontre le potentiel certain de cette formation, trop rarement révélé dans toute son envergure.
« Tempo House » traîne la patte pendant près de neuf minutes, suscitant un bilan similaire à celui qui s’imposait à l’issue de « Garden ». Le fait qu’il s’agisse d’un enregistrement live à The Haçienda ne change rien à l’histoire. Là aussi, il y avait moyen de faire un emploi plus judicieux de cette basse ténébreuse pourtant du meilleur goût, qui parvient à sauver les meubles.
Plus mélodieux sans renoncer aux rebords coupants des sons de guitare qui contribuent fortement à l’identité du groupe, « Hexen Definitive / Strife Knot » donne dans le blues et, soyons justes, dans l’ensemble c’est un vrai bonheur.
Malgré les défauts évoqués plus haut, surtout liés à la personnalité du seul membre constant et qui, de ce fait, sévissent encore près de trente-cinq ans plus tard (rappelons que The Fall existe toujours en 2017), «
Perverted by Language » s’en sort avec dignité. Il suffisait simplement d’enlever le piédestal posé par John Peel.
D. H. T.
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