"Ne t'effraie point de la grandeur. Quelques-uns naissent grands ; d'autres parviennent à la grandeur, et il en est que la grandeur vient chercher elle-même." William Shakespeare, La Nuit des Rois
La grandeur n’est venue chercher
Nick Drake qu’après sa disparition tragique à 26 ans. En effet, grâce à des intégrales, des musiques réutilisées dans des pubs et des rééditions, le chanteur-compositeur a connu la gloire plusieurs années après sa mort. Mais ce n’est probablement pas ce qu’il voulait.
Nick Drake a cultivé une image de chanteur solitaire, introverti, de « poète maudit » diront certains. Entre l’abus de drogues, les mauvaises ventes de ses deux premiers albums et sa fin tragique (dont on ne sait toujours pas si elle était volontaire ou non) à cause d’une overdose de médicaments en 1974, il n’est pas étonnant que cette image le suive encore plusieurs décennies après sa disparition. Mais là où ce surnom de « poète maudit » lui convient le mieux, c’est lorsque l’on parle de sa musique, et notamment de «
Pink Moon ».
«
Pink Moon » est un album particulier dans la discographie de Drake, non seulement parce qu’il sera son dernier, mais également car il tranche beaucoup avec le reste de la carrière du musicien, autant esthétiquement que musicalement. La pochette est révélatrice du changement opéré : à la place d’une photo de l’artiste comme sur les deux premiers opus, une peinture psychédélique de Michael Trevithick, compagnon de la sœur de Drake fait office de front cover. L’histoire dit que le chanteur avait trop mauvaise mine pour être pris en photo. La musique aussi est différente : là où «
Five Leaves Left » et «
Bryter Layter » était riches en accompagnements et arrangements, «
Pink Moon » dévoile un jeu de guitare intimiste, et sans instrument supplémentaire.
Il est en effet possible de sentir la volonté de
Nick Drake de créer une œuvre minimaliste : la plupart des titres sont courts et très simples, portés par une guitare harmonieuse et un chant délicat, ce qui le distingue de ses contemporains. Le jeu de Drake, entre accords doux et arpèges techniques, est une sorte de marque de fabrique présente sur tous les titres. Si le style peut donc s’avérer redondant, le songwriter change toutefois le ton de ses chansons, des mélodies claires et joyeuses «
Pink Moon » et « Place to Be » aux mélancoliques « Horn » et « Things Behind the Sun » en passant par le mystère évoqué par l’arpège de « Know ». Même si les titres ne se démarquent pas par leur originalité, certaines mélodies restent gravées en tête, notamment celles de la chanson-titre et de « Place to Be », preuve que
Nick Drake est un très bon compositeur.
Cependant, le cœur de «
Pink Moon » ne réside pas dans la musique, mais bel et bien dans les paroles.
Nick Drake traversait une mauvaise passe et commençait à devenir dépendant à la drogue et à souffrir de psychose et de dépression. Ces thèmes sont largement abordés dans l’album. Dans « Place to Be », Drake se rappelle sa jeunesse pleine de vie qu’il contraste avec son état actuel, « darker than the deepest see » (« plus sombre que la plus profonde des mers ») et « weaker than the palest blue » (« plus faible que le plus pâle des bleus »). A la fin de la chanson, il s’adresse à une mystérieuse personne dont il demande l’aide (« Oh, so weak in this need for you », littéralement « oh si faible avec ce besoin de toi »). « Things Behind the Sun » voit Drake nous inciter à profiter de la vie, comme s’il savait déjà qu’il avait fait son temps et qu’il voulait prévenir l’auditeur de ne pas faire les mêmes erreurs que lui. La chanson-titre évoque quant à elle une « lune rose » qui « nous aura tous », comme si elle était un signe avant-coureur d’une apocalypse à venir. La poésie de Drake constitue donc la force de «
Pink Moon », avec ses thèmes annonciateurs du destin à venir pour l’artiste.
«
Pink Moon » est la pièce maîtresse de la courte discographie de
Nick Drake : à la fois sublime chef-d’œuvre intimiste et délicat et album autobiographique, il révèle le malaise de son créateur au moment de son enregistrement. Une fois l’album fini, Drake déposa les bandes sur un bureau des studios Island, sans en parler à personne, comme s’il tirait sa révérence. Elles ne seront remarquées qu’une semaine plus tard. Se vendant encore plus mal que les deux premiers opus, «
Pink Moon » passa relativement inaperçu aux yeux du grand public et participa à la déchéance de Drake qui mourra quelques années plus tard. Sur sa tombe, on peut lire «
Now we rise / And we are everywhere » (« Maintenant nous nous élevons / Et nous sommes partout »), paroles extraites de la dernière chanson de l’album, « From the Morning ». Encore une preuve que la poésie de
Nick Drake est universelle, même après sa mort.
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