Dans le petit Landerneau des six cordistes, il y a des expressions qui reviennent sans arrêt. Tenez, si vous ouvrez un magazine de la presse spécialisée guitare, vous tomberez toutes les trois pages sur "manche en palissandre" (plus pour longtemps), "micros humbucker", et "
Joe Bonamassa".
Seulement voilà, à voir ce nom cité sans arrêt alors qu'on entend jamais la musique du gars en question dans les médias, on peut légitimement se poser la célèbre question "qu'est-ce qu'il fait, qu'est-ce qu'il a, qui c'est celui-là". Elle est où, l'arnaque ? se demande l'avocat du diable. C'est pas comme
Jimi Hendrix, Carlos
Santana, ou
Eric Clapton, qui ont assis leur légende sur quelques hits interplanétaires, que même les profanes ont dans leur mémoire sans s'en rendre compte, la culture n'est pas encore totalement morte.
Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il n'a pas une gueule de guitar hero, on dirait plutôt Jean-Louis de la COGEP. Oui, le responsable des achats, avec sa berline teutonne qui date de douze ans.
Pourtant cela fait un petit bout de temps qu'il s'est fait remarquer, et en particulier aux USA, où sa réputation n'est plus à faire.
Il fallut qu'une notification Tutube me propose la vidéo de "
Royal Tea", le morceau, dont le jeu de mots simple comme un clin d'œil acheva de m'aguicher. Je me suis laissé tenter par une petite chronique avec la technique dite du petit Candide, piquée à notre regretté Jean-Pierre Coffe : en écoutant l'album à sec sans préparation, et sans se renseigner sur l'artiste.
En peu de temps, j'ai compris pourquoi
Joe Bonamassa s'est taillé un nom dans la musique. On est vite happé par quelqu'un qui prend un malin plaisir à jouer avec vos oreilles, d'autant plus qu'il manie avec dextérité toutes les armes de la surprise. On passe d'une intro pompeuse digne d'un péplum en technicolor bardé de cuivres à du gros rock à la
Muse, en passant par de multiples rebondissements savamment orchestrés. Les quatre premières compositions forment un véritable rollercoaster. Il n'y a qu'à écouter le morceau d'ouverture "When One Door Opens", rock ballad chaloupée, avec moult transitions et redémarrages. On passe d'un style à l'autre comme dans un rêve clinquant, bluesy en diable. Ça brille, ça rutile de mille feux, et on ne voit pas le temps passer, malgré plus de sept minutes au compteur.
La voix de Joe est très agréable, chaleureuse, un poil éraillée, et me fait penser à un Paul Young caméléon, sans le côté pleurnichard. Cependant, il ne brille pas par l'exubérance, on peut même lui trouver une certaine forme d'humilité.
En tant que metalleux, j'ai été surpris par le Zeppelinien "Lookout
Man !" qui m'a tenu en haleine, avec son ambiance qui n'aurait pas pas detonné sur un album d'
Alice In Chains, et ses choeurs féminins intrigants. Joe n'hésite pas à durcir le ton, et même son chant habituellement chaud et velouté peut se parer d'un grit joliment belliqueux.
Cependant, on est pas ici pour headbanguer, et le fond du propos est bien là ballade blues, souvent en ternaire. C'est sur cette base que se construisent la plupart des chansons. C'est encore plus vrai sur la deuxième moitié de l'album, plus recentrée sur la spécialité de
Joe Bonamassa : un blues racé et habilement modernisé. Tantôt d'un classicisme scrupuleux ("High Class Girl"
Blues de base à la
John Lee Hooker), ou rock'n'roll qui swingue avec une dose de rat pack ("Lonely Boy"), ou encore énergique avec "I didn't Think she Would do It" , dont le thème galopant ressemble à celui de "Knights of Cydonia" de
Muse. La musique du serial bluesman joue avec les règles bien établies en faisant au passage des clins d'œil avisés.
Puisqu'on parlait en introduction de guitare, et que j'attendais Joe au tournant sur le sujet, j'ai été surpris de son approche aussi respectueuse qu'iconoclaste de l'instrument. Pas de coups d'éclat tapageurs, mais il joue avec versatilité, justesse et feeling. Il Joue de la guitare, avec la guitare, et avec les autres instruments, au service de chaque chanson. Ses sons de guitare sont parfaits, et rendent justice à son amour de l'instrument.
L'exercice de la ballade dont j'ai parlé plus haut est donc particulièrement à l'honneur, à la sauce Americana ou country ("Beyond The Silence", "Savannah"), ou à la manière d'un
Toto ("A Conversation With Alice"). On est même à la limite de la Michael Boltonisation sur"Why Does It Takes so Long to Say Goodbye". Mais heureusement, comme sur ce dernier qui fait un astucieux break floydien vers un riff à la
Jimmy Page, au moment où on a la tentation de zapper, tout est fait pour capter l'attention et maintenir l'auditeur sur le qui-vive.
Maintenant que le test en aveugle est fini, je peux me rencarder sur le pédigrée de la bête, et avec un tel album, il y a de quoi être curieux. Loin d'être un parvenu du blues rock, Joe est pour ainsi dire tombé dedans. Il a commencé la guitare à quatre ans, poussé par son père, et a été couvé et entraîné par
Danny Gatton, guitariste éclectique aussi à l'aise en blues, rockabilly et jazz. Petit prodige qu'il était, il s'est ensuite fait remarquer à l'âge de 12 ans, par rien moins que
BB King, qui l'a pris en première partie de concert. Il enregistra son premier album solo en 2000, pour une carrière de quinze LP, jusqu'à celui qui nous intéresse ici. Coté crédibilité, je pense qu'on est bon.
Pour "
Royal Tea", l'américain s'est inspiré de la musique que son père écoutait lorsqu'il était petit, en majorité des disques de blues anglais. Cette touche anglaise se retrouve dans la composition, puisque ces titres ont été co-écrits avec le guitariste Bernie Mardsen (ex-
Whitesnake), Pete Brown (parolier de
Cream), et le pianiste Jools Holland.
S'il y a une chose qu'on ne pourra pas reprocher à JB, comme le whisky, c'est d'avoir peur de surprendre. Son alliage musical présente une haute teneur en rock, qui vient pimenter les conventions bien rodées du rock américain et du blues, en y ajoutant des influences anglaises qui vont comme un gant à la classe du bonhomme.
Moi qui m'endort plus vite qu'un cobaye de Messmer à l'écoute d'un album de blues, j'ai pris un plaisir certain à guetter chaque virage inattendu, chaque référence appuyée, qui donne à cet album un côté ludique. C'est typiquement le genre de galette qu'on peut mettre en fond sonore pour aiguiller l'air de rien la conversation sur un sujet musical. C'est aussi un bon melting pot de tout ce qui fait la musique anglo-saxonne, et une initiation moderne au vieux monde du blues.
Merci très bonne chronique pour ce musicien qui mérite assurément qu'on s'intéresse à lui même si l'omniprésence est un tantinet agaçant. Il y a d'autres musiciens de blues rock qui mériterait un peu d'attention.
Merci pour la chronique - je suis complètement passé à côté de la sortie de ce CD et ton texte m'a convaincu de l'acheter.
Je te conseille l'écoute de l'album BLACK COFFEE réalisé par BETH HART et JB.
La " demoiselle" ajoute le côté couillu à ce blues qui devient alors sacrément rugueux: un MUST !
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