Peu importe si peu de gens connaissent, peu importe si peu de gens s'y intéressent, peu importe si peu de gens aiment... il est impossible de faire l'impasse sur un groupe tel que
Suicide! Non seulement parce que son influence sur le monde de la musique électronique est plus grande que l'on ne le pense, mais aussi parce que sa musique à la fois novatrice et chaotique ne peut laisser personne indifférent.
En 1970, un duo de new-yorkais : Alan Vega, et Martin Rev fondent un groupe basé sur un genre alors inédit qualifié "d'electro-punk" répondant au doux nom de "
Suicide". Le premier album éponyme qui nous intéresse ici ne sortira que 7 ans plus tard, entre temps le groupe a eu le temps de faire parler de lui notamment via des prestations chaotiques se soldant parfois par des bagarres générales entre le téméraire front-man Alan Vega et les récalcitrants dans le public. Mais pourquoi tant de violence alors qu'il ne s'agit que d'un groupe de musique? Précisément parce que
Suicide dérange pour l'époque, et dérange toujours autant aujourd'hui. Imaginez-vous en tant que punk dans les années 70, vos oreilles étant nettement habituées à de bons gros sons de guitares électriques et à une rythmique expéditive, vous attendez patiemment votre groupe fétiche (par exemple : les Ramones), et là vous voyez débarquer sur scène en première partie deux bonhommes ayant recours à une simple boite à rythme, un synthétiseur, et un micro...forcément ça choque! D'ailleurs cet album influencera grandement les groupes de cold wave ou de new wave à venir tels que
Soft Cell, qui n'étaient pas encore d'actualité à l'époque, rien d'étonnant à ce que le groupe soit considéré rétrospectivement comme en avance sur son temps. En fait,
Suicide est un précurseur de l'électro-minimalisme, il n'y a donc aucun instrument "Rock" utilisé au sein de la formation, et pourtant...il se dégage une puissance et une rage de leur musique que de nombreux spécialistes assimilent à celle du punk. A commencer par le premier morceau ouvrant ce premier album de
Suicide : "
Ghost Rider", où la boîte à rythme primitive de Martin Rev trace un paysage musicale brumeux et fascinant de par la répétition des sons puissants et effrénés structurant la rythmique linéaire du morceau. Mais le côté glauque et sombre de la musique de
Suicide vient essentiellement de la voix d'Alan Vega... ce dernier adopte une tessiture vocale que l'on pourrait rapprocher d'
Elvis Presley, mais lui donne une ampleur dramatique et torturée via les effets d'échos, et de réverbération.
"Rocket USA" est basé sur le même modèle que "
Ghost Rider", à la différence que sur ce morceau Alan Vega rend la rythmique de son chant encore plus déstructurée et cahotante en poussant de vives inspirations/expirations démentes, imprévisibles, et perturbantes lors de la première écoute. Mais le morceau ne posséderait pas une ambiance aussi fantastique si il n'était pas ponctué par des sons d'orgues parfaitement mélodiques dont on a l'impression qu'ils sont joués dans le lointain derrière cette déferlante de rythmiques répétitives sales et martiales.
Les trois morceaux suivants sont en revanche plus apaisants et dégagent quelque chose de profondément hypnotique, à commencer par "Cheree" ballade nous transportant directement dans l'espace, et au climat onirique où Alan Vega fait même intervenir son côté décalé en mélangeant Anglais et Français : "je t'adore baby". Le rythme s'est donc ralentit et demeurera lent le temps des deux morceaux suivants : "Johnny" et "Girl" où là encore
Suicide se montre plus "sage" et calme en apparence, "Johnny" reste sombre et décalé, tandis que "Girl" semble empreint d'une tension sexuelle sous-jacente suggérée par une rythmique sensuelle et rampante et la voix soupirante d'Alan Vega.
Jusque là on peut penser que
Suicide est un groupe finalement pas si inaccessible que ça bien qu'assez déroutant...grave erreur! Voici venir le monstrueux "Frankie Teardrop" qui est incontestablement le morceau le plus marquant de l'album, et un des morceaux les plus marquants musicalement qu'il m'ait été donné d'entendre! Tout commence par des sons frénétiques de cette habituelle boîte à rythme... sauf que ici le rythme n'a plus grand chose à voir avec ce qu'il y a eu précédemment... il semble calqué sur celui des pulsations cardiaques d'un homme en transe. Et cette transe c'est celle de la folie meurtrière de Frankie Teardrop qui est le thème du morceau, l'histoire d'un ouvrier venant de perdre son emploi et se retrouvant à cours d'argent, décidant alors d’assassiner sa famille avant de se tirer une balle... dans le genre réjouissant difficile de faire mieux! Le rythme est constamment le même (comme d'habitude avec
Suicide remarque), et le "chant" n'en est plus vraiment un... passant du texte servit par des gémissements de tristesse et de douleur à des cris stridents et bestiaux amplifiés par la réverbération nous arrachant littéralement les tympans! Rien de bien agréable à écouter là dedans me direz-vous? En effet, mais s'arrêter à ce genre de détail serait vraiment réducteur tant le morceau possède une ambiance et un travail sonore absolument remarquable : au fur et à mesure que le morceau progresse de nouveaux sons semblables à des voix et des bruits fantomatiques font leur apparition, et qu'on le veuille ou non on tend l'oreille pour ne rien manquer de cette ambiance renforcée par la tension palpable dont est responsable Alan Vega toujours prêt à exploser d'un moment à l'autre. Bref, ce morceau est une expérience musicale et artistique hors-norme... mais trouver des personnes suffisamment ouvertes d'esprit pour y tendre une oreille pendant plus de 10 minutes (oui c'est de loin le morceau le plus long de l'album) est une chose plutôt rare.
Pour finir l'album se conclut sur un morceau à la beauté crépusculaire hallucinante, j'ai nommé : "Che". Sur ce morceau le ton dramatique enclenché par le morceau précédant est toujours d'actualité mais est abordé ici de façon totalement calme et sereine... comme si il n'était plus nécessaire de faire preuve de violence, ainsi la boucle lancinante de la boîte à rythme se veut lente et suggère par sa lenteur comme une complainte funèbre, les notes de claviers jouées vers la fin du morceau dont le rythme va en s'accélérant à mesure que touche la fin de celui-ci rajoutent un fond sonore mélodique à l'ensemble de manière subtile. C'est donc ni plus ni moins à un chef d'oeuvre auquel on a à faire ici, à la fois original, novateur, hypnotique, violent, sombre, mystérieux, incompris, adulé, détesté, mais surtout irrésistible!
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