Cela fait désormais vingt ans que les Américains de
Spock's Beard roulent leur bosse dans le monde entier, avec leur rock progressif métallisé attractif, depuis la très bonne surprise que constituait leur premier album
The Light en 1995. Le succès ne s'est pas démenti durant toutes ces années, et, sans sortir de chef d’œuvre chaque année, les Américains n'ont jamais eu non plus de période à vide ou sans inspiration. Même dans les moments les plus difficiles ils ont toujours su rapidement relever la tête, par exemple avec le sympathique
Feel Euphoria, un an seulement après le départ de Neal Morse, qui était alors le pivot central du combo.
En 2011
Spock's Beard refait face au même problème : le batteur, Nick D'Virgilio, qui avait pris la place de Neal au chant et à la compo, n'a pas assez de temps à consacrer à son groupe à cause de son emploi du temps trop chargé avec le Cirque du Soleil, et quitte donc le navire. Et une nouvelle fois le trio restant réagit rapidement à cette crise, en embauchant à plein temps Jimmy Keegan, qui n'était que le batteur
Live depuis 2002, ainsi que Ted Leonard (chant et guitare), que les gens de bon goût connaissent d'Enchant et Thought Chamber.
Brief Nocturnes and Dreamless Sleep est très favorablement accueilli, et le nouveau quintette semble avoir encore de longues années devant lui.
Dans des délais qui leur sont habituels, les cinq
Spock's Beard nous délivrent cet été leur douzième album en vingt ans donc, nommé
The Oblivion Particle. Le disque est doté d'un bel artwork, faisant évidemment référence au titre Bennett Built a Time Machine. Fait rigolo, Neal Morse (qui est pour rappel le frère d'Alan Morse, guitariste de SB) a sorti en début d'année un album arborant aussi un vieil homme aux prises avec une étrange machine. Si la machine de Neal avait bien failli lui péter à la figure, celle des
Spock's Beard semble plus robuste, et son concepteur mieux organisé. Pas sûr en revanche qu'elle nous fasse réellement voyager dans le temps, mais le voyage est prometteur.
Enfin si, le premier morceau, Tides of Time pourrait évoquer à beaucoup le passé de
Spock's Beard, avec ses claviers toujours un peu kitsch, sa rythmique complexe, et son air enjoué. Avec un joli passage instrumental un peu floydien et la voix de Ted Leonard qui se rapproche de celle de Neal Morse, ce premier titre est un condensé des vingt ans de
Spock's Beard. En revanche, la suite est bien plus actuelle et inspirée, tout en gardant bien sûr ce qui fait leur identité.
Jimmy Keegan révèle des talents cachés sur l'excellent Bennett Built a Time Machine, où il tient le micro en plus de ses baguettes de batterie. Même si son chant est moins modulable que celui de Ted, il n'en est pas moins touchant sur la première partie, notamment sur le magnifique refrain ; la seconde partie quant à elle se fait plus sombre avec d'effrayantes expérimentations mais très réussies sorties du clavier de ce cher Ryo Okumoto. Le maître japonais s'illustre aussi sur l'introduction du génial mais trop court Get Out While You
Can, avec ces sons lents, et inhumains, grandioses. Ted prend la relève pour une prestation vocale plus que convaincante tant il paraît habité par son texte.
La deuxième moitié de l'album fait la part belle aux titres plus longs, de type mini-épopée d'environ dix minutes, le matériel parfait pour
Spock's Beard afin de creuser un peu plus les mélodies et les histoires racontées. Pour être franc, chez la Barbe de Spock et comme souvent dans le milieu prog, les morceaux les plus longs sont souvent les meilleurs, même si le quintette californien semble avoir abandonné depuis quelques temps les fresques épiques dépassant le quart d'heure. Sur
The Oblivion Particle, on retrouve trois superbes moments de bravoure nommés A Better Way to Fly, The Center Line et To Be
Free Again beaucoup plus denses que le reste de l'opus, plus profonds et plus tourmentés, à l'instar de l'introduction du premier des trois titres. Phases les plus entraînantes (The Center Line) font suite à des moments aériens grisants (les chœurs sur A Better Way to Fly), en passant par de redoutables passes d'arme instrumentales inspirées de
Genesis (le solo de batterie d'A Better Way to Fly, de même que sur To Be
Free Again). Les émotions traversées sont ainsi très variées, et on retombe parfois dans des torpeurs plus sombres, qui ne sont pas sans rappeler l'une des meilleures périodes du groupe, les albums V et
Snow …
Avec une telle palette progressive, il est presque dommage que ce ne soit pas ces trois titres qui concluent l'album. En revanche, Disappear, qui clôture la version courte de l'opus est un magnifique mini-format prog, où le violon mélancolique et sourd de l'invité David Ragsdale (
Kansas) donne une dimension plus triste encore à l'atmosphère.
Finalement, avec une entrée en matière très correcte, un ventre solide et un final à la fois grandiose et subtil,
The Oblivion Particle est quasiment maîtrisé de bout en bout. On regrettera seulement le second titre, Minion, qui fait figure de faute de goût. Son introduction à chœurs a capella kitsch et niais est heureusement rattrapée dans une deuxième partie très sympathique (après le break au piano). Quant à Hell's Not Enough, il s'agit juste d'un morceau à la structure un peu trop prévisible, qui fait penser à Thought Chamber dans ses mêmes travers. Pas étonnant, sachant que ce titre (ainsi que Minion) a été composé par Ted Leonard, qui nous avait habitués à mieux question écriture (la sublime ballade Submerged sur le disque précédent). Les chanceux possesseurs du très beau digipack pourront apprécier une reprise de l'Iron
Man de Black Sabbath, avec Nick D'Virgilio qui fait un retour éclair pour y jouer la batterie. La reprise en elle-même est sympathique sans plus : très fidèle dans sa première partie, avant de tomber dans un délire progressif assez classique.
Le
Spock's Beard troisième version, après le rassurant
Brief Nocturnes and Dreamless Sleep, se révèle enfin pleinement, et tout aussi intéressant que sur les précédents travaux. Même si Bennett et sa machine à voyager le temps tournent à plein volume, il n'est pas question de regarder en arrière pour les Californiens, qui n'ont probablement jamais sonné aussi moderne. Une bonne bouffée d'air frais pour la scène prog américaine, alors que le frère Neal Morse semble hésiter entre plusieurs directions.
Spock's Beard lui se montre sûr de lui et plein d'avenir.
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