Il y a ceux qui réveillent une ville, comme
Joy Division /
New Order à Manchester, puis viennent ceux qui, dans cette même ville, font encore mieux, sur des bases pourtant assez classiques. La basse grondante et la batterie, semblant se tenir à une distance raisonnable, amènent lentement la guitare aussi tranchante que mélodieuse, puis, de sa voix limpide, dont le timbre surprend par sa simplicité parfaite voire par son innocence,
Ian Brown chante des paroles qui vont droit au but : «
I Wanna Be Adored », le slogan universel de tous les rockers en quête de reconnaissance. Ce je qui se confie ainsi, sujet polysémique, atteint une dimension générale où se retrouvent musiciens et auditeurs. D’aucuns auront l’impression de s’entendre penser, et l’une des plus grandes réussites d’un titre est peut-être de donner envie aux autres de se l’approprier. Plus intéressant encore : on aimera la chanson par contagion, parce que le feu arrive à prendre, même si l’on n’a aucune envie d’être adoré.
«
She Bangs the Drums » enchaîne avec une belle agressivité instrumentale qui n’a d’égal que l’écoulement paisible des paroles, comme une eau claire sur un lit de pierres dont les aspérités feraient pourtant jaillir le sang. Après ce tour de force rythmique, «
Waterfall » privilégie plutôt l’émotion de la mélodie, fort d’une douceur propre à installer une atmosphère langoureuse que prolongera « Don’t Stop », reprenant le même thème pour laisser parler la musique de préférence au texte, avec des irrégularités dans le rythme qui abordent la spiritualité par la perte des repères.
L’exubérant « Bye Badman » trace son chemin parmi les virages, évoluant parfois vers la country, parfois vers le jazz. « Elizabeth My Dear », sur le thème traditionnel de « Scarborough Fair », ancre l’opus dans le terroir du Royaume-Uni et salue aussi, au passage, les Américains Simon & Garfunkel. « (Song for My) Sugar Spun Sister » se démarque dans un premier temps par une voix plus grave, avant que les échos, qui occupent une part importante dans le reste de l’opus, ne viennent harmoniser la conclusion. «
Made of Stone » offrira la beauté de son développement au chant comme au solo de guitare. « Shoot You Down » met l’accent sur les différents aspects acoustiques d’une entrée en matière feutrée, que le titre ne laissait pas deviner, et qui se maintiendra.
Vient enfin celui qu’elle attendait (« This is the one she has waited for ») : les variations d’intensité de « This Is the One », tantôt atténué, léger, murmurant, tantôt électrique, lourd, explosif, permettent à l’album d’atteindre son apothéose. D’abord plus scolaire, « I Am the Resurrection » décrit un crescendo où la mélodie s’enrichit, avant de laisser un rythme plus funk, à partir de la quatrième minute, entraîner la guitare de John Squire dans une course débridée, un pur bonheur instrumental. Le mot résurrection y prend tout son sens, une résurrection faite pour durer.
Le disque terminé, il ne reste plus qu’à le réécouter en boucle, sans modération. La preuve : près de trente ans plus tard, la boucle tourne toujours.
D. H. T.
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