Top Priority

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18/20
Nom du groupe Rory Gallagher
Nom de l'album Top Priority
Type Album
Date de parution 16 Septembre 1979
Style MusicalBlues Rock
Membres possèdant cet album62

Tracklist

Re-Issue in 1999 by Strange Music Ltd
1. Follow Me 04:51
2. Philby 03:48
3. Wayward Child 03:28
4. Keychain 04:20
5. At the Depot 03:20
6. Bad Penny 04:04
7. Just Hit Town 03:36
8. Off the Handle 05:38
9. Public Enemy No 1 03:46
Bonustracks (Re-Issue 1999)
10. Hell Cat 04:50
11. The Watcher 05:44
Total playing time 36:51

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Rory Gallagher


Chronique @ ZazPanzer

04 Janvier 2012

Romeo & Juliet...

C'est une belle histoire. Belle, mais triste. Bouleversante même. Un conte de fées moderne. Peut-être un énième remake du classique "Roméo et Juliette". Oui, autant vous prévenir dès maintenant, l'Amour mènera, comme souvent, le héros à sa perte. Je ne vais pas vous la faire courte, mais de cette façon, vous comprendrez.

Vous comprendrez pourquoi un des grands regrets de ma vie est d'avoir, le jeudi 1er décembre 1994, manqué ce concert de Rory à Reims, dans une petite salle située à 7 minutes à pied du studio dans lequel je me trouvais, occupé à draguer la jolie locataire et à boire comme un trou avec la bande de potes qui squattait chez elle.

Allez, suivez moi en Irlande...

Il était une fois un gosse de quinze ans, amoureux transi. Le gamin s'appelle Rory Gallagher et vit à Cork. Dans cette ville portuaire de 100 000 habitants, en 1963, les seules guitares que vend Michael Crowley dans son magasin sont des imitations de grandes marques aux noms douteux. Rory joue sur l'une d'entre elles, une Rosatti, depuis trois ans. Cependant, depuis quelques semaines, trône dans la vitrine de cette boutique une véritable Fender Stratocaster Sunburst 1961. Un certain Jim Conlon, musicien new-yorkais officiant au sein du Royal Showband de Waterford l'a fait importer d'Amérique chez Mr Crowley [ahah] avant de finalement lui ramener quelques mois plus tard. La légende veut que la couleur ne lui ait pas plu, et qu'il en ait commandé une autre, rouge cette fois, assortie à son costume de scène.

Rory passe devant la Fender quotidiennement. Il vient l'admirer. Il la veut, la désire de tout son être; un jour elle sera sienne. Oui, le kid est amoureux... d'une guitare. Amoureux et torturé, anxieux. Cette boule au ventre le ronge. Il est terrifié à l'idée qu'on lui vole ! Putain, la première Stratocaster à avoir touché le sol irlandais !

Alors, malgré son prix exorbitant (100 livres), il se décide. Il lui faut, sa vie en dépend. Le frangin Donal, âgé de seize ans, accompagne Rory pour convaincre le patron de faire crédit. Le petit Gallagher est déjà connu dans le milieu et tourne avec un groupe semi-pro, le Fontana Showband, qui reprend les standards de l'époque; il pourra rembourser avec ses cachets. Michael Crowley connaît la famille. Il accepte, sous réserve d'une remise de reconnaissance de dette signée des parents. Donal imite la signature. Il cachera ensuite la guitare de son petit frère sous son lit pendant plusieurs semaines avant que Mona, la maman, ne découvre le pot aux roses.

Rory sort du magasin avec la Strat'. Dans ses yeux, une pluie d'étoiles.

Elle est à lui.

Il est à elle.

Ils ne se quitteront plus.

Rapidement, la guitare perd son vernis et sa couleur Sunburst pour devenir l'instrument de légende que tous les mélomanes connaissent. Rory, doté d'un groupe sanguin rare, transpire énormément en concert. Sa sueur, acide, dévore la Strat', la transforme. Elle devient véritablement une partie de lui-même.

En 1967, après un concert à Dublin, son amour a disparu. Un abruti a forcé le van du groupe et a volé la gratte. Rory est anéanti, il souffre, même physiquement. La guitare, déjà invendable, est finalement retrouvée, abandonnée, quelques jours plus tard. Après cet épisode, elle ne sera plus jamais entreposée avec le reste du matériel. Le roadie de Rory, Tom O' Driscoll, est personnellement chargé de veiller sur elle à chaque instant. Elle suit donc Rory dans ses moindres déplacements, dans les taxis, les restaurants, au pied de son lit; les deux tourtereaux sont inséparables.

Avec sa précieuse compagne, il gravit prématurément les échelons d'un succès inéluctable, son talent explosant à la face du monde. Après avoir fait ses classes avec le Fontana Showband passé pro, Rory forme Taste (1966-1970) et s'installe à Londres, toujours épaulé par Donal qui devient le manager du trio. Les deux albums du groupe font du bruit. John Lennon, Jimmy Page en parlent dans la presse. Le kid croise souvent Hendrix, fréquente Brian May, qu'il influence d'ailleurs énormément, tourne aux USA avec Eric Clapton, alors dans Blind Faith, joue au mythique Festival de l'île de Wight devant 600 000 personnes. À 22 ans, sans faire d'esbroufe hors scène, grâce à son style et un son unique, le gamin de Cork a déjà inscrit son nom au firmament des guitar-heros, des légendes immortelles. Il est respecté des plus grands. En 1976, Mick Jagger lui proposera d'ailleurs le poste vacant de Mick Taylor au sein des Rolling Stones. Rory refuse mais vient jammer avec le groupe pendant deux jours à Rotterdam avant de s'envoler pour une tournée japonaise. Il leur offre le hit "Miss You" qui sera immortalisé sur "Some Girls" en 1978 et pour lequel il ne sera évidemment pas crédité...

Suite au split de Taste, que Rory vit comme un divorce tragique, il entame une carrière solo. Eblouissante. Telle une étoile filante, le prodige irlandais vit au travers de sa Musique, se consume en elle en tournant sans relâche. Quand Rory n'est pas sur la route, il enregistre en studio. Entre 1971 et 1979, il sort huit albums merveilleux. J'aurais pu chroniquer n'importe lequel de ces disques intemporels, et malgré un petit faible avoué pour les quatre premiers j'ai choisi celui-ci, le plus Hard des '70s, avec l'écossais Ted McKenna (MSG, Gillan entre autres) derrière les fûts. Et on l'entend !

Si la Dream Team Lou Martin (piano) / Rod De Ath (batterie) faisait des merveilles, et je n'évoque même pas le splendide jeu de basse du fidèle Gerry McAvoy présent sur tous les disques de Rory sans exception, le choix d'un batteur à la frappe puissante et aux influences plus Rock que Blues, ainsi que le retour à la formule trio depuis l'opus précédent, ont donné un coup de fouet au Bluesman. Le tempo s'accélère, les compositions sont plus dures, Rory change de registre, et la production suit. Dès "Photo-Finish", Rory a d'ailleurs déserté San Francisco pour le studio Dieter Dierks à Cologne. Le nom parle pour lui-même, et il ne ment pas. Le son de batterie est à la fois clair et énorme, on peut comparer la basse à un rouleau compresseur, et la guitare du Kid est bien évidemment toujours égale à elle-même. En d'autres termes, c'est de la bombe.

Si vous imaginiez un vieux Bluesman défoncé sur son tabouret, en train de chialer que sa femme l'a quitté et qu'il n'a plus que sa bouteille de Bourbon pour le consoler, vous avez tout faux. Ou presque. Car Rory est Blues, certes, mais aussi Folk, Rock et à partir de 1976, surtout Hard. Rory c'est tout ça à la fois, une guitare, une voix, un feeling inimitable, une présence qui vous enveloppe, des morceaux poétiques, des Blues poignants qui vous arrachent une larme, des passages acoustiques country, mais parfois aussi des grosses claques dans la gueule. Rory quoi.

Et des claques, sur ce disque, on en prend quelques unes. Entre le riff inoubliable de "Follow Me", la rythmique pesante et rapide de "Just Hit Town", la basse terriblement lourde qui étouffe "Keychain" (dommage que le fading soit bâclé à la fin), le boogie mortel "At The Depot" qui renvoie Status Quo jouer au bac à sable, on ne se repose pas. Rory s'accorde un seul Blues, "Off The Handle", poisseux, électrique, violent, à l'image de ce "Top Priority", ainsi baptisé pour rappeler à sa maison de disques la promesse qui lui a été faite concernant la promo de cette nouvelle galette.

Les morceaux les plus mélodiques, le génial "Bad Penny" ou les plus légers "Wayward Child" et "Public Enemy N° 1" aèrent cet album magique, dont la perle reste pour moi la pub-song "Philby". Si vous avez déjà passé une soirée à Dublin, cette ville féérique où vous ne pouvez franchir la porte d'un pub de Temple Bar sans y trouver de véritables musiciens en train de jouer, en lieu et place d'une radio diffusant à bloc la dernière merde estampillée Fun Radio, vous rêverez tout comme moi, après avoir écouté ce disque, d'avoir un jour pu, tout en éclusant des Guinness, reprendre en chœur avec Rory les "Yeah yeah yeah" qui ponctuent cette tuerie, mise notamment en valeur par le son d'une sitar électrique Coral de 1960, prêtée par Pete Townsend.

Grand amateur de polars, Rory évoque souvent des histoires policières. Les lyrics de "Philby" sont particulièrement instructifs, puisque Rory dresse dans ce texte un parallèle entre sa vie et celle de Kim Philby, agent double (ayant vraiment existé) travaillant à la fois pour le MI6 et le KGB. Je vous laisse apprécier quelques extraits :

"Now ain't it strange that I feel like Philby, I'm lost in transit in a lonesome city, I'm disconnected but I don't need pity, It's getting strange and it's getting crazy, Tell me, what is going on ?"

Rory se sent mal. Il a consacré sa vie entière exclusivement à la Musique, et arrivé à 31 ans, commence à s'interroger, peut-être à se remettre en question... Le kid n'a en effet pas eu de vie privée, n'a jamais connu l'Amour, n'a même jamais envisagé une relation autre que celle qu'il entretient avec sa guitare. Rory est rentré en Musique comme en Religion. En renonçant à tout.

La vie folle menée jusqu'ici ne lui avait jamais permis de se poser un seul instant. A partir de cet album, les enregistrements s'espaceront. Mais on ne change pas du jour au lendemain. Rory ne se sent bien que sur scène, alors il tourne. Il est malheureux, seul. Il a le Blues. Il commence à prendre des "médicaments" pour calmer ses angoisses et devient très vite accro. Ajoutées à une consommation d'alcool importante, les pilules lui détruisent le foie. Rory s'en fout. Il n'a que sa Strat'. Rien ni personne qui pourrait le faire revenir du côté de la Vie. Malgré les mises en garde et engueulades de Donal, il s'enfonce. Les photos parlent.

Le 10 janvier 1995, un mois [putain, un mois] après son passage à Reims, Rory s'écroule sur scène à Rotterdam. Son dernier concert.

Début juin, après des semaines d'hospitalisation londonienne, les chirurgiens du King's College Hospital lui greffent un nouveau foie. L'opération est un succès, mais Rory contracte un virus pendant sa convalescence. Le corps est trop faible pour se défendre. Le 14 juin 1995, à 10h44, il s'éteint, laissant derrière lui une Fender éplorée.

Ironiquement, je découvris la Musique de Rory dans ce studio rémois quelques semaines seulement après ce concert. Si vous êtes passés à côté de cet immense artiste incarnant on ne peut mieux l'Intégrité, il est encore temps pour vous de rectifier le tir. Faites-en une Top Priority.




Une chronique dédiée à la locataire du studio... Toujours aussi canon.

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Saturnine - 29 Janvier 2012: Pour tout dire je ne connais pas bien Fresh Evidence, mais je trouve tout à fait mon compte avec Defender qui marque un certain retour aux sources chez un artiste qui a acquis une grande maturité de part le chemin parcouru jusque là. Rory est resté fidèle à lui-même, parfaitement intègre, à une heure où le blues se voulait plus "clinquant". Je garde néanmoins une préférence pour ses mythiques albums 70s, mais Defender reste un très bon album.
lovemedo - 30 Mai 2012: Tout simplement merci Zaz. superbe chronique, et bel hommage à Rory.
swit35 - 05 Décembre 2012: J'en suis à ma n-ième écoute de cet opus apres en avoir fait l'acquisition suite aux conseils prodigués ici... je ne regrette pas... on est dans le grand Blues Rock, je range ça aux cotés des Ten Years After, SR Vaughan et des derniers Gary Moore... Merci Zaz pour ce partage.
joce09 - 03 Mai 2013: Chronique fantastique ! Un vrai talent d'écriture ! En revanche, un point me chagrine. "renvoyant Status Quo dans les bacs à sable". Certes le morceau en question est bon, mais quand même, niveau boogie rock, les kings, c'est Status :)
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