Tostaky

Paroles
ajouter une chronique/commentaire
Ajouter un fichier audio
17/20
Nom du groupe Noir Désir
Nom de l'album Tostaky
Type Album
Date de parution 1992
Labels Barclay
Produit par Ted Niceley
Style MusicalRock
Membres possèdant cet album108

Tracklist

1. Here It Comes Slowly
2. Ici Paris
3. Oublié
4. Alice
5. One Trip/One Noise
6. Tostaky (le Continent)
7. Marlène
8. Johnny Colère
9. 7 Minutes
10. Sober Song
11. It Spurts
12. Lolita Nie en Bloc

Acheter cet album

 $5.63  €7,96  €11,89  £4.92  $ 2.50  €28,30  €15,32
Spirit of Rock est soutenu par ses lecteurs. Quand vous achetez via nos liens commerciaux, le site peut gagner une commission

Noir Désir


Chronique @ ZazPanzer

02 Octobre 2012

La seule couleur, c'est noir brillant.

21 Février 1993.

En cette fin d'après-midi glaciale, quelque part entre Reims et Charleville-Mézières, une voiture progresse, bien trop prudemment, sur la route désertique.

Monsieur conduit. Il a les mâchoires serrées, les mains à 10h10 et les yeux rivés sur le compteur. Madame, les lèvres pincées, tire la gueule en trifouillant nerveusement son sac à main. Seuls le bruit du moteur et quelques raclements de gorge inopportuns viennent briser un pesant silence de mort et une tension dans l'air aussi épaisse que le brouillard à couper au couteau qui vient caricaturalement de tomber sur les Ardennes.

A l'arrière du véhicule, trois adolescents aux coupes de cheveux dites "phases critiques" : ni courtes, ni longues, hirsutes et improbables. Vêtus malgré le froid polaire de T-shirts noirs émergeant de vestes en jean sans manche outrageusement patchées, les jeunes rémois n'osent échanger un regard, de peur peut-être d'exploser de rire ou de voir la voiture faire demi-tour...

Au milieu, le fils. Le fils qui a bien merdé la veille : après avoir ingurgité trop rapidement une demi-bouteille de whisky Leader Price pendant la pause méridienne du lycée, Bruno s'est écroulé dans un bus de ville; et c'est le copain, assis à sa droite, qui avait d'ailleurs lampé l'autre moitié du flacon, qui a appelé les urgences d'une cabine. Je jure que je n'étais pour une fois pas dans le coup (sourire angélique et auréole); bien qu'assis derrière le conducteur, à gauche de Bruno, je subisse moi aussi les conséquences atmosphériques de ce regrettable coma éthylique...

Cette grosse connerie, qui faisait d'ailleurs suite aux désastreux bulletins scolaires du premier trimestre de notre 1°S, nous fit sur le coup instantanément penser que nous pouvions nous asseoir sur les places du concert de Noir Désir à Charleville-Mézières achetées quelques mois plus tôt, la date rémoise affichant complet. Mais c'était mal connaître les formidables parents de Bruno, qui, ayant proposé en septembre de nous emmener, tinrent leur promesse... mais en silence, et ce jusqu'au Parc des Expos de Charleville.

Remerciements courtois, dernières recommandations de Papa/Maman -"Vous allez avoir froid" / "Mais non"-, sortie de la voiture, soulagement, éclats de rire, et nous voilà devant le Parc des Expos à attendre l'ouverture des portes.

Elles resteront pourtant tragiquement closes. Vers 21h, après une bonne heure et demie d'attente en T-shirt dans un climat sibérien, la foule frigorifiée mais survoltée s'enflamme à la vue d'un petit homme seul qui parcourt timidement l'allée séparant la salle des sinistres grilles. Grosse méprise : le type ne vient pas ouvrir, mais annoncer en balisant sévèrement que le concert est annulé, Bertrand s'étant pété la voix et étant dans l'incapacité d'assurer le chant ce soir. Après une mini-émeute risible et quelques menaces de mort violente et imminente adressées à l'employé qui repart se mettre au chaud plus vite qu'il n'était arrivé, le public éclectique se sépare. Restent sur le carreau trois imbéciles en petite tenue, qui en fouillant leurs poches mettent la main sur une pièce de dix balles et quelques cigarettes; elles nous permettront de commander un expresso pour trois dans un rade et d'y attendre le retour du daron mutique... Noir Désir, noir souvenir...

Je n'ai donc jamais vu les bordelais, mais je les ai beaucoup écoutés. Presque honteusement au début, partagé entre la qualité évidente de leur musique et la culpabilité inhérente à tout jeune metalhead d'ajouter à sa collection des disques radiodiffusés (dits "commerciaux" dans notre jargon), et d'apprécier criminellement des musiciens qui n'étaient visiblement pas "techniques" (oui, toujours ce dialecte d'adolescent découvrant le Hard Rock)... La force exceptionnelle de Noir Désir résidait en effet dans cette rare capacité à créer des œuvres à l'image de ce "Tostaky", parfaitement intègres mais accessibles à tous, universelles. Tout le monde aimait Noir Désir : les mecs qui n'étaient pas dans la Musique (que Dieu leur vienne en aide) et qui écoutaient donc la radio (d'où ma honte), les fans d'Alternatif, de Rock Indépendant, de Punk-Rock, de Cold-Wave, les métalleux... et même les filles... Admirable.

Cette notoriété que ne cherchait pas le groupe le déstabilisait tout autant que nous, lui qui se voulait underground et authentique, loin de toute démarche mercantile. Cette situation dichotomique amenait Cantat à prendre des décisions inattendues, radicales et mémorables; doigts tendus bien haut à la maison de disques multinationale Barclay, filiale de Polygram, qui serrait les dents sans pouvoir lâcher la poule aux œufs d'or... Ainsi, entre autres exemples, alors qu'«Aux Sombres Héros de l'Amer» rentre dans le Top 50, Bertrand enrage de voir les gens écouter le single diffusé en boucle sans en comprendre le sens profond et annonce publiquement le bannissement pur et simple du morceau des setlists du groupe, refusant ainsi une quelconque assimilation aux "chanteurs" éphémères et à leur public déculturé. Plus tard, lorsque les dirigeants de Barclay lui déroulent le tapis rouge pour l'enregistrement du "Ciment Sous Les Plaines", le bordelais renvoie le chèque et leur impose une autoproduction brute et sèche... Les signaux de fumée étaient sans équivoque : pas de compromission. La Musique avant le fric. Noir Désir trouva donc rapidement son vrai public, celui qui se déplaçait dans le circuit des petits clubs, que le groupe privilégia toujours aux offres des promoteurs qui auraient pourtant aimé leur ouvrir les grandes salles.

En 1991, après une tournée éprouvante, le split est envisagé. Les quatre musiciens se séparent un long moment, mais se retrouvent au retour de leurs différents voyages. Cantat revient notamment d'Amérique du Sud avec le morceau-brûlot "Tostaky" qui ravive la flamme. Les quatre amis s'enferment alors dans une maison bordelaise pour composer, puis s'exilent dans la banlieue de Londres durant deux mois pour immortaliser leur quatrième opus sous la houlette du producteur américain Ted Niceley (Fugazi).

Le premier riff donne le ton : telle une digue qui aurait cédée, "Here It Comes Slowly" vomit d'entrée une rage primale et salvatrice, sublimée par un break meurtrier carrément Heavy; du bonheur en barre. Si Noir Désir s'affiche plus Hard que jamais auparavant avec notamment le furieux single "Tostaky (Le Continent)" ou le Noisy "7 Minutes" qui n'en dure que six, le groupe reste toujours aussi éclectique : portés par les vers de Cantat, les Rock poétiques inimitables tels le fédérateur "Ici Paris" se mêlent à des morceaux minimalistes et pourtant exemplaires ("Oublié", "Marlène"); le Punk Rock guerrier et réjouissant ("Johnny Colère", reprise d'un obscur combo breton appelé Les Nus) côtoie le lancinant et l'hypnotique à l'image de "One Trip / One Noise"... Noir Désir fond le chaud dans le froid, contrastant savamment hargne et délicatesse, atteignant des sommets d'émotion.

Si le talent, le charisme et l'aura de Bertrand sautent aux oreilles à tout moment, et que le couple rythmique Frédéric Vidalenc / Denis Barthe se contente inversement d'un second plan parfois transparent en préparant parfaitement mais sans esbroufe le lit pour les ébats du chanteur habité, le cas Serge Teyssot-Gay n'est pas aussi tranché. Plus habitué au Heavy-Metal virtuose qu'au Noise-Rock, j'ai personnellement toujours été peu réceptif à son jeu particulier et à ses influences, trouvant même certaines de ses interventions dissonantes insupportables, notamment la "mélodie" concluant le "Zen Émoi" qui massacre à mon sens un morceau génial du "Ciment Sous Les Plaines". Je suis pourtant enthousiaste quant à sa prestation sur ce disque, trouvant enfin du charme à ces notes volontairement approximatives et à ce jeu saccadé et singulier.

J'ai d'ailleurs une affection particulière pour la doublette "Sober Song" / "It Spurts" unie par un larsen liant les deux morceaux. Alors que la glauque "Sober Song" décrit brillamment, tant dans l'ambiance que dans l'écriture, un lendemain de cuite épouvantable et ce qui arrive irrémédiablement lorsque l'on se retrouve à affronter ses démons après une nuit blanche, à savoir le dégoût de soi-même et une envie amère de baisser les bras et de se laisser couler, l'avertissement "It Spurts", violent, agressif, menaçant, prend aux tripes et atteint son paroxysme sur un final brutal encore une fois immédiatement contrasté par la litanie "Lolita Nie en Bloc" qui je l'avoue, avait fini par me gaver à l'époque où les ondes se l'étaient appropriée, mais qui, à l'instar d'un amour lointain, refait son petit effet après une longue période de sevrage.

Vingt ans déjà... 1992... Le monde déifiait le Grunge, la France aimait (un peu) le Rock. "Tostaky" devenait Disque D'or en quelques semaines avec 100 000 exemplaires écoulés, replaçant Noir Désir sur le devant de la scène médiatique, et faisant surtout de Bertrand Cantat le porte-parole d'une certaine jeunesse, désenchantée mais avide de culture et de liberté de penser, rebelle dans la tête, mais avouons-le peu dans les actes, une jeunesse fière de pouvoir pour une fois pousser un tonitruant cocorico. Il est temps de le rappeler même si nous ne l'avons jamais oublié. Merci Bertrand. Merci.

Si quelques malheureux sont passés à côté de ce grand disque, qu'ils sachent que "Tostaky" est à consommer sans modération, contrairement aux bouteilles de sky Leader Price.

16 Commentaires

12 J'aime

Partager

choahardoc - 07 Octobre 2012: Marrant comme je me suis reconnu dans l'énoncé des prétextes négatifs à huer Noir Désir: à l'époque, je vomissais le groupe sans franchement lui donner sa chance. Par obscurantisme, pour éviter de prendre la tehon!! Superbe chronique pour un album au songwriting magistral, libertaire et brut de décoffrage.
largod - 07 Décembre 2012: papier de haute qualité Zaz.
ton évocation sans parler de ce qui défraya la chronique quelques années plus tard est d'une extrême justesse et délicatesse.
Cantat et Noir Désir restent pour moi des OVNIS de la scène rock française, hors catégorie et du temps qui passe
ZazPanzer - 12 Janvier 2013: J'ai rectifié quelques détails de la chronique suite à ce message que j'ai reçu d'un ancien camarade du lycée que je n'ai pas vu depuis 20 ans ! C'est beau Internet ! (reçu sur Amazon où je poste également mes textes)

"Salut,
une petite erreur, le concert à Charleville était le 21 février 93 (et non en janvier).
sinon Zaz, on se connaît, de même que je connais les 2 lascars qui se sont pelés les miches avec toi devant le parc des expos. L'histoire de la bouteille de whisky est encore plus rocambolesque que ce que tu écris, mais 20 ans après je ne vais pas te jeter la pierre. En fait nous étions 3 et seul Bruno (puisque tu le nommes) s'est enfilé de grandes rasades de la bouteille. D#### et moi-même n'aimions pas le whisky (tu peux donc en déduire que le dernier loustic (R###) de votre équipée vers Charleville n'était pas présent lors de l'épisode de la bouteille). Pour la suite, les pompiers nous ont attrapés en pleine rue alors qu'on essayait de s'enfuir en portant notre pote (après qu'une bande de punkettes les ai appelés, trouvant l'état de notre ami bien trop lamentable, c'est pour dire, et aujourd'hui je dois bien le dire je les en remercie car ça craignait quand même, il avait les lèvres bleues et les yeux qui regardaient à 10h10 comme tu dis...). je m'en souviens très bien, c'était au coin d'une rue qui donnait sur la rue de Venise. Putain, les nases qu'on était... et pour finir, ça s'est passé la veille (et non pas la semaine précédant le concert de Charleville). ce qui explique cette ambiance pesante que tu as dû sentir le lendemain dans la voiture. Pour ma part, j'avais eu la chance d'avoir une place pour le concert de Reims, au Cirque (et de ne quasiment rien boire de la fameuse bouteille), qui se déroulait donc le soir-même de cette aventure. Autant dire que j'en ai pas profité comme j'aurais voulu. J'aurais encore des détails à donner sur le dimanche matin, mais merde, c'est public ici et à par nous ça n’intéresse plus personne.
Voilà la vérité rétablie.
Sinon ta critique du disque est bien travaillée, respect.
Tchao vieux"
hotrodfrancky - 12 Janvier 2013: Ca, c'est de la chronique!!!
Merci à toi, ô Grand Zaz, pour ce retour sur NoirDèz', le plus grand groupe du Rock français -bien que ce terme me gave, pourquoi du Rock français?- à mon avis. Et je compatis à ton manque de ne pas les avoir vu en live, car c'était vraiment la messe noire -ô le vilain cliché!!!-.
Je les ai vu à chaque nouvel album, sauf le dernier, plusieurs fois avec l'ami Lovemedo (un vrai dingue du quatuor bordelais) et ça a été à chaque fois un grand moment. Mais bon, je ne vais pas remuer la tronçonneuse dans la plaie..
Merci encore pour cette chronique énorme.
    Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire