La cover est une pièce musicale dans laquelle l’auteur reprend un thème connus issus d’un média varié (jeux-vidéos, films, séries …) pour le réinterpréter d’une manière à la fois fidèle tout en gardant un certain décalage permettant au(x) musicien(s) en question une certaine personnalité dans la façon de reprendre cette musique. Ce mode de reprise musicale pullule sur YouTube avec des résultats très disparates, allant de la copie à l’outrage tout en passant à des pièces proches du génie. D’un point de vue purement personnel, j’aime énormément le travail de Familyjules7x dans le domaine des covers Rock/Metal et celui d’After Bit (sur jeuxvideo.com) dans l’étude des musiques dans les jeux-vidéos ainsi que de leurs covers plutôt originales dans l’ensemble.
Mais nous n’allons pas parler de reprise, mais plutôt d’uchronie. Qu’est-ce ? Et bien pour le dire rapidement, il s’agit de créer une pièce unique ayant pour inspiration un univers déjà existant. L’orchestre Toulousain du Neko Light Orchestra s’est fait depuis déjà quelques années un nom dans le milieu des conventions et des salons ayant essentiellement pour thème les jeux vidéos et le monde « geek » dans son ensemble, en témoigne leur superbe réalisation sur le Seigneur des Anneaux. Et après avoir écumé les scènes jusqu’à avoir eu l’opportunité de se produire au Japon, le collectif a eu l’envie de coucher sur album leurs propres idées de ce que certaines œuvres cultes représentent à leurs yeux. Ainsi, pour ce premier volet des « Uchronies Musicales », ce ne sont pas moins de douze univers qui seront représentés.
J’en deviens jouasse de pouvoir enfin combiner musique et pop culture dans un même article. Nous allons donc séparer les réinterprétations de musique de film et de série TV de celles concernant les jeux vidéos. Démarrons dans la joie et la bonne humeur avec une uchronie pleine de folie partant du thème de « Retour Vers le Futur » ! « Great Scott » et son atmosphère de déstructuration électronique déjanté et son énergie vocale transpirant le bonheur. C’est dansant, groovant … Mais ça sera d’une certaine manière la seule véritable once de folie dans un album rudement technique et maitrisé. Dès « Gotham Redemption », l’ambiance s’assombrit. Métronomiques et répétitives, les cordes sont stridentes, le piano lointain, développant avec talent une mise en abîme constante jusqu’au climax soudain pour clôturer le tout…
Autre thème, autre ambiance. À mi-chemin de « La Famille Adams » et de « Tim Burton », « Monster Kids » dévoile un thème jazzy où la lourde guitare répétitive se fait fil rouge. La voix, mélodieuse et captivante, se mut en intonation enfantine dérangeante sur un refrain à même de figurer dans les thèmes d’un film noir. Parce qu’on le sait : au cinéma, les petites filles, c’est méga flippant. D’un bal macabre à un autre, les tonalités délirantes de la chanteuse se mélangent adroitement avec un ensemble de cordes acérées. Si la saga de Frodon avait déjà eu droit à ses « Echos de la Terre du Milieu », l’heure de la réécriture pousse à la contemplation la plus dense. Douce et éthérée, avec une pointe majestueuse en fond, une voix criante d’émotions dans ses envolées lyriques… Contemplation, là est le terme idéal pour définir cette uchronie, se basant sur les mêmes instants de calme, de volupté et d’admiration de ses gigantesques paysages Néo-Zélandais. Mais déjà le voyage s’interrompt. La bataille pour l’Anneau va débuter. Les percussions sont sourdes, l’instrumentation gagne en profondeur, en noirceur. Le thème varie, une guitare apporte des instants cristallins. La voix, moins lyrique et plus mélodique, plus chantante. L’atmosphère plus féroce, entraînante. Guitare électrique, violon, tout concorde. Les camps se font face… Mais nous n’en saurons pas plus.
Le monde merveilleux de Poudlard s’ouvre sur « The Wizard Prom ». Nous retrouvons ces mêmes mélopées de cordes folle et malicieuse. La rythmique est espiègle, enfantine autant que mature, apportant son lot de surprise et d’émerveillement, de chœur grandiloquent comme de minimalistes caresses … Le plus célèbre docteur voyageant dans sa cabine bleutée s’octroie le droit de clôturer l’album avec « The Last Gallifrey Son ». Très minimaliste, duo guitare-voix et piano (dont certain passage rappelle un peu les arpèges d’Anathema). Deux voix, une parlée, une chantée. Petit à petit, d’autres instruments viennent se greffer à la mélodie générale. Le rajout se fait en toute fluidité, sans jamais briser cette aura mélancolique palpable par un surplus dynamique bien vu. Puis une voix entre hip-hop et intonation rap fera son entrée, alors que la mélodie se parera d’une légère ambiance fusion. C’est surprenant et plutôt agréable, introduisant une montée en puissance exceptionnelle, mais foutrement trop courte… On n’oublie cependant pas de laisser la piste continuer sur une poignée de minutes pour conclure ce premier album d’un mini-opéra de voix et de piano lumineux …
Les chatons (car oui,, c’est ce que signifie Neko) n’oublient pas d‘effectuer un vibrant hommage à la culture animée japonaise, essentiellement venant de Miyazaki, probablement leur père spirituel et réalisateur de grand classique d’animation manga comme « Princesse Mononoké », « Le Voyage de Chihiro » ou « Ponyo sur la Falaise ». « Mori No Mukou Ni » se scinde en deux partie. La première, très mélancolique, débute par une succession de marche militaire, d’explosion et de coups de feu avant de s’habiller d’un mélange entre atmosphères mélancoliques (de longues tenues de notes des cordes) et tribal (chœur incantatoire, percussions…). La seconde se fait plus pop. Guitare énergique, riff plus épais, voix pop et mélodieuse, très japonaise dans ses intonations, très proche d’un visual key. Plus acoustique et douce, « Habatako » se mut progressivement en une pièce enivrante à l’intensité palpable. Les cordes se mélangent adroitement à la guitare et la progression de la musique suffit à nous transporter.
Trois séries mythiques du jeu vidéo sont également uchronisé dans cet album. Dès l’ouverture, l’hommage à Soulcalibur détonne. Profondément folk et dynamique, « Shape your Soul » ferait presque penser à un générique d’une série TV des années 90. Et ce même dans son break plus acoustique à la voix haute. La série des Elder Scrolls (et plus particulièrement Skyrim, le cinquième opus) s’habille d’une atmosphère guerrière poussant le chasseur à briser du dragon. Les chœurs, les cordes (Hans Zimmer ?), les percussions… Si le tout sonne un peu comme « partout » dans les grandes productions actuelles, le résultat n’en demeure pas moins prenant. Parfois, les chœurs me rappellent le travail mélancolique et sombre de Michael McCann sur l’excellent thriller post-punk «
Deus Ex :Human Revolution ».
Mais à série mythique, je n’ai pu que m’incliner devant l’épatant travail effectué sur l’uchronie « Last
Journey in Hyrule ». Medley entre les univers des principaux opus 3D, l’ensemble de la composition s’effleure de quelques mots prononcés à chaque changement de décor par une voix mélangeant le côté agaçant de Navy, plus pervers de Midona et très mystique de Fay. Mais parlons des compositions en elle-même. La petite guitare acoustique rappelle allègrement les thèmes des différentes forêts tandis que les cordes et percussion tremblante symbolise parfaitement la tonalité à la fois forte et contemplative de la série des Zelda. On retrouve également la présence de l’instrument phare : l’ocarina… Mais surtout un passage acoustique (et un sublime violon) très proche du cultissime thème du désert Gerudo d’Ocarina of Time nous entrainera ensuite vers des contrées plus proches des îles de Wind Waker de par sa légèreté et sa douceur avant de s’assombrir considérablement pour offrir un ensemble plus grave, tremblant et malsain, comme pour nous prévenir du combat à venir contre Ganon …
La force de cet ouvrage, c’est de ne pas se cantonner à plaire aux fans de l’univers concerné, mais à tous. Car là où la simple cover ne parle qu’aux spectateurs en mettant en images un moment précis du média, les Neko se décident à ouvrir cet univers à un public plus large en créant une pièce unique, propice au voyage et à l’imagination de tous. Imperturbable et pleine de maîtrise, ce premier volet des Uchronies musicales est un aller-simple donnant sur le royaume de nos songes les plus secrets.
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