Il y a ce que nous transmettent nos yeux et ce qu’imprime notre cerveau. Des images, des messages réels ou non. Une réalité qui dépasse souvent la fiction, qui parfois nourrie notre imagination, nos illusions. Ce sont des
Visions que nous subissons, qui nous mettent sur la bonne voie, ou au contraire nous mènent à des impasses infranchissables. Il serait injuste cependant de qualifier le «
Visions » de la formation «
Haken » par le terme « impasse ». Ce second album des londoniens sorti près d’un an après un «
Aquarius » bien estimé, offre encore une fois toute l’étendue du sérieux et de la technique du jeune groupe progressif. On dirait bien que notre petit protégé grandit à vue d’œil.
On commence tout d’abord par un titre instrumental. « Premonition » est une véritable myriade de sonorités toutes aussi rafraichissantes, sentant bon les explorations de « Dream Theater » fin années 90. Le jeu progressif se révèle à la fois subtil et très fouillé. Enthousiasmant dans son ensemble. Déroutant dans ses changements d’humeur. Pouvant passer de la plus belle illumination à des airs palpitants et irrités. Difficile de départager guitares et claviers dans leur continuelle lutte. Sans être trop original dans le genre, cette mise en bouche nous laisse présager quelque chose de plus consistant encore pour la suite. Pour autant, elle ne perdra aucunement en limpidité comme tant à le prouver « Mind’s Eye » qui aborde une approche similaire à « Premonition », fin, étincelant. Sublimé par la voix de Ross Jennings venue nous montrer une série d’images idylliques. « Insomnia » rejoint ce progressif très fouillé, en pleine phase de découverte, ajoutant ici une pointe cybernétique. Des sonorités parfois automatiques, répétitives, aussi parfois complètement déroutantes. «
Haken » ne fait pas dans la demi mesure. On retrouverait ainsi en plein milieu de piste quelques bruitages de jeux vidéo, ouvrant ensuite une accélération et un léger emballement des guitares et du synthé, qui chercherait lui à les imiter, à leur répondre coup pour coup.
C’était là la partie tiède. Il faudra compter aussi sur une partie froide, inspirée par le doute, parfois par la mort, et plus assimilable à ce qui se fait de meilleur dans le metal progressif anglais, notamment dans sa fibre mélancolique. On songerait ici à «
Porcupine Tree » en parfait exemple. Un léger souffle ne serait perceptible au premier abord de « Nocturnal Conspiracy ». Il y aura bien quelques éclaircies dans cet univers hostile, surtout sur le début de la seconde partie de titre, teinté par une légère brise symphonique bienveillante. On en vient ensuite à la tranquillité attristée de douceurs jazzy. De nouveau la tristesse prédominera sur « Deathless ». Les notes de piano deviennent gouttes de pluie dans un paysage couvert, grisâtre et isolé. Une ballade envoutante, riche, mêlant cliquetis ravissants et atmosphère imprégnante.
Quand vient la pluie, il est parfois secondé par le tonnerre. Il y aurait des charges électriques à travers l’instrumental « Portalis ». Une frénésie se met en marche. Une forme de stress est alors palpable. Une effusion se produit, un bouillonnement excellemment exécuté, qui maintient de façon persistante en haleine. Cette hargne se verra atténuée sur le dernier tiers par des airs groovy dans une musique essentiellement dominée par le duel entretenu entre les guitares et le synthétiseur, qui ne cessera lui de se métamorphoser. On aurait pu croire « Shapeshiffer » salvateur par la symphonie grandiloquente et enthousiasmante de son entame, en fait le morceau se décomposera véritablement entre le refrain qui prendra cette même méthode rayonnante, et les couplets clairement intimidants, tapis dans le plus profond brouillard, prêts à bondir.
Plus imparable et insurmontable sera l’énorme morceau éponyme «
Visions », véritable chef d’œuvre au sein d’un album qui n’aura pas à rougir. Un premier temps engagé dans la symphonie pour donner immédiatement un grand coup. Le franchissement d’une grande entrée, d’un portique doré, avant de plonger dans les méandres préparés avec soin par «
Haken ». Un labyrinthe ravissant où on aimerait s’y perdre, laissant juste la beauté du ciel pourespace infini à portée des yeux, alors que le corps se trouve à vaquer dans des couloirs confinés, que tentent de retracer les guitares dans leurs différents échanges. On y croise ainsi de l’authentique « Dream Theater » autour des 6 minutes 30. S’en suivra pêle mêle des airs jazzy, ensuite orientaux jusqu’au milieu de piste, marquant une première pause. Le cheminement continuera par des airs féériques soutenus par la voix des anges, puis acoustiques, menant à une ambiance cabaret années 20. Ce qui est le plus surprenant ici c’est que le chant très stylé et raffiné de Ross jouera pleinement le jeu, et se confondra à l‘ambiance délirante. En toute fin interviendra, sous un rythme martial de batterie, la volupté des violons et du violoncelle. C’est en tout et pour tout, plus de 20 minutes de grand spectacle.
Si on veut continuer les jeux de mots, on dirait que nous n’en croirons pas nos yeux de ce que nous venons d‘écouter. En effet, la qualité offerte par ce second opus est absolument remarquable. Ils ont tenu à surprendre autant que possible, mêlant ce metal progressif britannique fignolé, contemporain et froid, au metal progressif américain de « Dream Theater » misant plus sur l’exploration et la richesse technique du produit. La paire Ross Jenings et Richard Henshall à l’essentiel de la composition, nous font là de l’excellent travail. Leur musique est capable de véhiculer des images dans notre esprit. Elle peut aller au-delà des sens. Un exemple que l’imagination peut devenir plus forte que la réalité.
16/20
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