Muse. Qui aujourd'hui ignore que derrière ce mot renvoyant à la source d'inspiration d'un·e artiste se cache très certainement LE groupe de rock le plus connu du 21eme siècle ? Celui qui envoûte les stades et enchante les foules depuis désormais deux décennies ? Avant lui,
Queen avait ouvert la voie aux ambiances opératiques découlant de la fusion entre rock et classique, offrant des lignes mélodiques toujours aussi célèbres trente ans après la mort de son chanteur emblématique. Parmi les sources d'inspiration du chanteur et compositeur principal du groupe qui nous intéresse aujourd'hui – Matthew Bellamy – nous pouvons également citer
Jeff Buckley, qui laissa pour seul héritage son album Grace en 1994, soit cinq années avant la première fresque de nos stars anglaises
Showbiz, qui pose les bases de ce qui sera bientôt un véritable empire musical. Les trois œuvres qui suivirent enfoncèrent le clou pour une notoriété bien méritée. Entre cette empreinte vocale unique, la virtuosité toujours au service d'une musicalité indéniable et le sens presque pop de rythmiques qui vous rentreront dans le crâne, sans pour autant se perdre dans les affres de la simplicité, difficile d'y trouver à redire.
Mais si l'inspiration ne manque pas, les sorties futures touchant du doigt des styles en décalage avec ce qu'on connaissait du groupe laissent planer des doutes sur les motivations du trio, comme ce fut le cas pour Linkin Park avec des sonorités plus orientées électro-pop ou, dans le cas de
Muse mais aussi Korn, de la Dub Step. Ainsi mourait l'amour de certains fans avec la sortie du controversé
The 2nd Law. Mais pour les personnes y ayant résisté avec l'espoir d'un retour aux sources à moitié réussi sur
Drones,
Simulation Theory venait achever le travail de destruction.
Autant dire qu'à l'annonce de ce nouvel album intitulé
Will of the People, il était légitime de se questionner sur la direction prise par nos chers Anglais. Le premier morceau dévoilé début 2022 n'était que partiellement rassurant avec un son très proche de ce qu'ils proposaient en 2018, de nombreux effets sur la voix de Matt pour un couplet pop et des claviers presque forains qui se prêtent à l'envol.. Mais ne nous y trompons pas, avec "Won't Stand Down" nous entrons dans la dimension la plus extrême du combo, avec des influences metal presque parfaitement assumées. Pourquoi « presque », me direz-vous ? Eh bien, parce que même si la guitare se veut lourde avec sa saturation typique du genre, la première tentative de chant crié se montre peu convaincante compte tenu de l'overdose d'effets qui empêchent de bien saisir ce qui est esquissé.
Cet ornement vocal apparaît davantage assumé sur "Kill or be Killed" où Matt s'essaie à un growl avec bien plus de succès. S'il est loin d'égaler les maîtres du genre, il se montre saisissant dans un registre que l'on ne lui connaissait pas. Ce tableau nous propose des riffs meurtriers qui ne sont pas sans rappeler l'impétuosité d'un "Stockholm Syndrome", tandis que Dominic (Dom pour les intimes) se veut véritable chorégraphe pour toms intrépides avant que ne frappe sa double pédale. Sans excéder dans la rapidité, elle fait son petit effet et témoigne de l'envie des Anglais d'entreprendre et d'étoffer encore leur amplitude stylistique.
Mais s'il y a bien une innovation dans cet album, c'est la volonté de ne pas se prendre au sérieux. Qu'il s'agisse des vocalises de Matt sur "Kill or be Killed", de la dynamique entêtante de "Euphoria" ou le côté déjanté du dernier coup de pinceau qui finit la fresque, on pourrait croire que cette œuvre est celle d'un retour à l'adolescence, qu'ils n'ont finalement jamais eue avec un
Showbiz déjà très mature.
Lorsqu'il s'agit néanmoins de faire naître une émotion plus profonde, papa Matt sait encore y faire ! Laissant de côté ses compères le temps d'un morceau, il nous propose la délicatesse d'un "Ghosts (How
Can I Move On)" en piano-voix (une première en 25 ans !) dénué de tout effet, pour notre plus grand plaisir. S'il n'atteint pas la magnificence d'un "
Unintended", son côté épuré arrive à point nommé et de façon parfaitement adaptée aux paroles. Pas d'artifice ni de grande envolée dans le deuil, mais une intensité modulée avec brio. La sensibilité du piano se retrouve également sur "Liberation", qui se dévoile et s'affirme lentement mais sûrement. L'ombre de
Queen plane au-dessus de cette œuvre où les chœurs vont bon train, ainsi que sur le titre éponyme qui pourrait en être une revisite très actuelle si Freddy s'était uni à Marilyn Manson.
Et puisque l'on parle d'influences, comment ne pas penser au Jump des américains de
Van Halen sur les synthés de "Compliance" prêts à soulever les foules avec son refrain entêtant ? Ou encore au combo suédois ABBA sur les claviers kitsch de "You Make Me Feel Like It's Halloween ?" N'entendez-vous pas d'ailleurs sur le refrain comme les inflexions vocales du maître de cérémonie sont intimement connectées à celles proposées par le défunt roi de la pop ? Il ne manque plus qu'un moonwalk de Matt et on y est !
Bien que leur maison de disque attendait de leur part un best-of, il n'en fut rien. Mais c'est en revisitant leur passé que les Anglais ont donné naissance à
Will of the People, avec l'envie d'améliorer certains éléments présents dans leurs trois premiers albums notamment. Il est selon Christopher un assemblage cohérent des meilleurs éléments qui ont fait leur force au fil des années, et va jusqu'à le comparer en ce sens à
Black Holes and Revelations, là où Matt le définit comme la meilleure représentation de ce qu'est
Muse. Ce qui est sûr, c'est que cette dernière offrande réunit les multiples facettes du groupe où rock, pop et électro s'entremêlent et nous ramènent chacune à l'une de leurs précédentes œuvres, jusqu'à faire des clins d’œil aux oreilles attentives (la mélodie fredonnée sur "Compliance" après le break électro ne vous rappelle pas l'air du refrain d' "Endlessly" ?) .
En parlant d'électro, la quasi-omniprésence de ce type de sonorités est à déplorer. Bien que les bruitages participent à l'ambiance de "You Make Me Feel Like It's Halloween", cet aspect digital entache parfois le travail de la guitare ("Kill or be Killed" ) voire la dénature sur le titre éponyme. C'est sans compter tous les effets qui viennent allègrement sacrifier les prestations vocales. Nous pourrions arguer qu'ils lui apportent une plus grande diversité, mais au vu de la versatilité de son organe, Mister Bellamy n'a aucunement besoin de ça, même si les années ne jouent pas en sa faveur. Alors que les mots prononcés se veulent profondément humains, nous sommes envahi·es de modulations qui nous éloignent de cet aspect organique, voire viscéral.
Bien qu'au sens strict il ne s'agisse pas d'un concept album, il est intéressant de remarquer qu'un fil conducteur guide notre appréhension de cette œuvre. Un regard dystopique (encore que la réalité nous en approche grandement) nous est proposé, au sein duquel les dirigeants invitent les foules à s'incliner au profit d'un confort physique et psychique assuré...avec le risque néanmoins d'être transformé en simple chair à canon. Nous avons ici une confrontation des deux points de vue entre cette vision dominatrice et pseudo-protectrice, à laquelle s'oppose la force issue de l'union des peuples pour un véritable renversement. Cette idée déjà présente sur "
Uprising" est ici encore développée.
Mais l'arrivée de "
Ghost" nous ramène à une vision plus romantique, approfondie sur "Verona", où l'union amoureuse proposée par Shakespeare est ici dépeinte dans toute sa sensibilité. Ces deux créations favorisent un pont entre la dystopie proposée et ce que nous avons connu au cours de la pandémie. Nombreuses sont les personnes à avoir perdu l'être aimé·e, avec l'ambivalence de ces deux désirs, entre souhait d'avancer malgré les profondes souffrances inhérentes au deuil, et volonté d'expirer pour rejoindre l'autre derrière les portes de la mort.
Ces dernières évoquées, "We are Fucking Fucked" finit l’œuvre sur un regard profondément sombre mais non moins réaliste sur l'avenir de l'humanité. Nos artistes ont fait le choix de terminer sur cette touche qui laisse un goût amer avec une idée derrière la tête : nous poser la question de l'irrévocabilité de ce scénario, et ce que chacun·e peut mettre en place comme changement pour essayer d'en changer les contours.
Désormais, il est venu le temps (non, pas des cathédrales), mais du bilan. Oui,
Muse fait ici du
Muse. Oui, c'est bien fait. Néanmoins, entre efficacité et démagogie il n'y a qu'un pas. Et au vu du titre donné, on peut se questionner sur la motivation du groupe. La démarche artistique inhérente à la conception d'une œuvre n'est-elle pas ici obstruée par l'envie de satisfaire le plus grand nombre, en prenant ici et là les éléments qui ont fait leur succès ? Comme nous l'avons vu avec la variété d'influences mentionnées,
Will of the People ratisse large. Et, bien qu'en agissant de la sorte il s'assure le succès, il laisse planer le doute sur ce qu'est véritablement
Muse aujourd'hui. Entité artistique toujours sur pied, ou qui repose sur ses plus glorieux lauriers en y ajoutant une touche de modernité pour retarder l'écroulement représenté sur l'artwork? Il est encore trop tôt pour le dire. En attendant, autant profiter gaiement de cette nouvelle fresque haute en couleur !
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